Réflexion sur la place de l'internet
dans la relation d'aide
par Josée Leboeuf, M.A. Sexologue clinicienne et psychothérapeute
En cette ère technologique, nous sommes appelés à nous questionner sur la place des médiums tels que l'internet dans les professions de la relation d'aide. Certains y voient une avenue de choix; une solution futuriste à notre portée, tandis que d'autres s'inquiètent des conséquences de l'apparition de ces nouveaux services sur la définition de la relation d'aide en général.
Cet article permettra au lecteur de se questionner sur la pertinence de l'utilisation de l'internet dans le domaine de la relation d'aide, principalement en ce qui concerne la sexologie clinique (qui est ma formation de base). Quelle est sa place? Quels sont les avantages et les inconvénients d'une telle approche?
SERVICES PSYCHOLOGIQUES SUR LE NET
Depuis l'avènement de l'Internet, presque toutes les professions ont trouvé le moyen de tirer profit de ce médium en apprenant comment l'utiliser et comment y promouvoir des produits et services. Dans le domaine de la relation d'aide (psychologie, sexologie, travail social et autres), on assiste au même phénomène.
Des sites internet proposent des consultations par courrier électronique, des causeries en IRC, des forums et groupes de discussions. La question que nous devons nous poser est la suivante: Quelle est la valeur de ces services offerts à une population en quête d'aide, de rassurance et de soutien? Voici ma réflexion:
Personnellement, je considère que les services d'aide virtuels ont une valeur éducative et informative très pertinente, sans toutefois égaler les bénéfices d''une thérapie en profondeur. Selon moi, les services d'aide virtuels permettent à l'usager de faire connaissance avec les professions d'aide, de trouver des informations pertinentes et une éducation de qualité sur la ou les problématique-s avec lesquelles il doit composer. L'usager peut, avec l'internet, évaluer la place que prend un problème ou une situation difficile dans sa vie, comprendre les causes de son problème, explorer la manière dont d'autres se sortent de situations difficiles et tenter, à son tour de trouver des pistes de solutions pertinentes. Mais cela est-il suffisant, garant d'un succès au niveau de la croissance personnelle de l'usager? Mais d'un autre point de vue, est-ce réaliste de penser que tout le monde a envie de faire une démarche en profondeur?
Le problème avec ces médiums se situe au niveau des limites textuelles. Avec le seul texte pour exprimer son vécu, l'usager n'offre qu'une partie de lui-même. Peut-on croire que le vécu émotif se transmet aussi bien en format .txt qu'en réalité? Sur quelles bases le professionnel de la relation d'aide peut-il se baser afin d'évaluer, diagnostiquer et traiter un individu qui se présente à lui par le texte? On doit, bien entendu, prendre pour acquis que l 'usager fait preuve d'honnêteté dans son discours. De toute façon, s'il ment ou s'il prétend être une autre personne, il finit par se mentir à lui-même et à la limite, l'aide qu'il va recevoir risque de ne pas du tout être adaptée à son vécu.
En ce qui concerne les causeries de groupes en IRC, je considère leur valeur comme étant à peu près équivalente aux bénéfices que l'on peut retirer d'une conférence ou d'un atelier sur un thème donné. Il y a un animateur et des participants qui discutent ensemble mais on ne va pas en profondeur par rapport à une problématique vécue par un des membre du groupe. Pourrait-on parler alors d'une aide générale, non-spécifique mais qui retrace plutôt les grandes lignes de la problématique en question? Quant à la causerie individuelle en IRC, je serais portée à croire que l'aide offerte possède alors une valeur plus importante que lors des discussions de groupes. Le sujet peut être abordé plus en profondeur et on assiste davantage à un déploiement du vécu émotif... La discussion sera aussi orientée avec plus de précision, sur le vécu de l'usager.
LA PLACE DE CES SERVICES DANS LE DOMAINE DE L'AIDE
Dans la relation d'aide, on retrouve différentes approches thérapeutiques, différentes techniques, différents outils de travail et différents professionnels pour les utiliser. À mon sens, les services virtuels viennent s'ajouter à la liste des moyens de venir en aide aux gens, et comme pour ceux mentionnés plus hauts, on ne peut pas être en accord total avec tous, et personne n'est sommé d'y adhérer si les objectifs qu'ils visent ne les rejoignent pas...
L'idée est de trouver le médium qui nous convient et de garder à l'esprit les limites de celui-ci en n'oubliant pas, bien sûr, ses avantages... Justement, quels sont les avantages des services en- ligne? À mon sens, il y a d'abord l'accessibilité des services et la gratuité pour l'usager dans la plupart des cas. Quant aux limites, je crois sincèrement que la limite principale réside en chaque usager qui aurait des attentes trop élevés envers le service virtuel. Si l'on prend le service pour ce qu'il est et rien de plus, on met l'emphase sur les points positifs retirés... un exemple: un usager des causeries en IRC qui s'attendait à se faire aider par une sexologue un vendredi soir donné a quitté, déçu, quelques minutes après le début de la causerie car on n'avait pas répondu à ses attentes. S'il avait assisté à la discussion dans le but de partager son opinion et écouter celle des autres, il aurait probablement reçu certaines réponses très pertinentes, mais comme ses attentes s'avéraient trop élevées, il considère probablement qu'il s'agit là d'un service très limité. Malheureusement...
DISTINCTION ENTRE ÉDUCATION ET THÉRAPIE
L'éducation pour moi est le service par lequel l'usager va chercher des informations et des pistes de réflexions sur un sujet donné. Il s'agit de l'approfondissement des connaissances théoriques et pratiques mais si le travail est fait de façon partielle, le cheminement demeure en surface.
La thérapie quant à elle est un traitement qui vise l'atteinte d'un mieux-être pour le client et nécessite un engagement en terme d'énergie, de temps et d'argent afin d'entrer en relation de confiance avec le thérapeute. Cet engagement requiert une grande authenticité de la part de l'usager dans la mesure ou son cheminement thérapeutique sera à l'image de son implication. Je compare souvent la thérapie à la pratique d'un sport ou à l'apprentissage d'un instrument de musique. Pour devenir athlète olympique ou virtuose musical, il faut plus d'une heure de pratique par semaine. Le même principe s'applique en thérapie. Le gros du travail n'est pas nécessairement réalisé lors de la discussion avec le thérapeute dans un bureau professionnel... la thérapie implique une ré-évaluation du mode de vie actuel de la personne, un questionnement sur ses valeurs et ses choix et des changements apportés à ceux-ci en vue de modifier leur résultat qui est le problème pour lequel la personne consulte. La motivation au changement se veut un élément clé de toute thérapie et il faut se demander si le fait d'investir autant dans une démarche n'y est pas pour quelque chose. Sur internet, la constance n'est pas requise, en ce sens que l'usager utilise les services quand bon lui semble. On pourrait peut-être penser que si la discussion devenait trop menaçante, l'usager pourrait quitter subitement, tandis qu'en thérapie, cette résistance serait explorée et discutée. Je considère l'assiduité et la constance comme des éléments essentiels à la réussite d'une démarche thérapeutique.
Quand on me demande si je considère les causeries en IRC comme de la thérapie, je réponds: Il faudrait redéfinir la notion d'une thérapie car à mon sens, il ne s'agit pas d'un substitut, mais plutôt d'une porte d'entrée pour les personnes timides qui craignent les consultations thérapeutiques... on pourrait souhaiter qu'à un moment donné, la personne qui en ressent le besoin fasse le pas en vue d'une démarche plus en profondeur.
Pour illustrer ma pensée, voici un exemple: Si une personne vit une difficulté sexuelle reliée à une incapacité d'entrer en contact intime avec une autre personne, les services virtuels vont lui apporter de l'information sur son problème et certaines pistes de réflexions. Cependant, le fait de se cacher derrière son ordinateur pour recevoir de l'aide n'aidera probablement pas cette personne à régler son problème de base, qui est la difficulté d'entrer en relation à l'autre. Pour cette personne, franchir le pas d'aller en thérapie en face à face la force à être "proche" d'une autre personne et d'apprendre à être authentique dans une relation de confiance.
Je ne dis pas qu'aucun travail n'est possible sur internet mais bien que moi, en tant que thérapeute, je suis portée à croire qu'une distinction est à faire entre les deux et je précise toujours aux gens qui me contactent par internet que la nature du service offert possède des avantages mais également des limites. Les services virtuels ne sont pas moins valables que la thérapie; ils ont tout simplement des objectifs différents.
CONCLUSION
À chaque fois qu'une nouvelle thechnologie s'installe dans la vie des êtres humains, son impact mérite questionnement. On peut penser à l'avènement de la télévision, de la voiture et du four à micro-ondes pour réaliser que pour chacune de ces inventions, une période d'adaptation fut nécessaire. L'acceptation et l'impression de la nécessité suivent habituellement d'assez près. Mais avant d'y arriver, il faut parfois subir quelques regards désapprobateurs... à chaque nouvelle invention ses défenseurs mais aussi, ses dissidents... La venue de l'internet dans nos vies personnelles et professionnelles mérite attention et évaluation.
L'avenir nous dira si les professionnels de la relation d'aide vont adopter unanimement ou non l'autoroute de l'information comme outil de travail et d'offre de services professionnels. En ce qui me concerne, l'internet fait partie de ma vie à titre de sexologue et j'y trouve d'excellentes opportunités de reconnaissance et d'approfondissement de ma pensée. Toujours une question d'équilibre et de respect, il s'agit de laisser le temps venir à bout de nos questionnements...