Pour un projet pédagogique et thérapeutique

à l'intention

d'élèves polyhandicapés sévères

accueillis en milieu scolaire


La PsychoCité d'Eric..


par Jean-Jacques DETRAUX, Christiane LEPOT-FROMENT, et collaborateurs(1)

Universités Libre de Bruxelles CENTRE d'étude et de formation pour l'éducation spécialisée
Universités Catholique de Louvain
Faculté de psychologie et des sciences de l'éducation

Référence du document : Le Point sur la Recherche en Education - n° 5 (d)

1. HISTORIQUE DE LA RECHERCHE

L'aide éducative et thérapeutique aux enfants et adolescents polyhandicapés sévères, définis comme des personnes présentant un "handicap grave à expressions multiples avec restriction extrême de l'autonomie et déficience mentale sévère", fait l'objet d'une préoccupation croissante dans divers pays de l'Union Européenne. En effet, l'évolution constatée des caractéristiques des populations accueillies dans les institutions spécialisées vers des tableaux cliniques plus sévères ont conduit à amplifier une préoccupation centrée sur la recherche de moyens plus adéquats pour répondre aux enfants (et adultes) porteurs de l'association de plusieurs déficiences, à caractère précoce et massif.

Parents et professionnels se sont souvent associés dans cette recherche.

En Communauté française de Belgique, l'éducation des enfants et adolescents polyhandicapés sévères se fait principalement dans le cadre de l'enseignement spécial. En décembre 1991, le Conseil Supérieur de l'Enseignement Spécial a mis en place une commission de réflexion, présidée par Monsieur l'Inspecteur Debouny et regroupant des représentants de 15 établissements scolaires. Cette commission a mené trois enquêtes destinées à mieux caractériser les populations qualifiées de "polyhandicapées" et à préciser les difficultés auxquelles les équipes éducatives se heurtaient dans leurs essais d'encadrement adapté.

Sur proposition de cette commission (en novembre 1992), le Conseil Supérieur a suggéré la mise en place conjointe de structures expérimentales (une ou plusieurs classes) et d'une recherche évaluative portant sur les actions entreprises.

Dès l'année scolaire 1993-1994, des classes expérimentales furent créées dans des écoles spéciales de divers types et, en novembre 1993, débutait la recherche évaluative menée en étroite collaboration par le Service de Psychologie Diffférentielle de l'ULB et l'Unité d’Orthopédagogie de l’UCL. Cette recherche devait s'étaler sur trois années.

 

2. OBJECTIFS DE LA RECHERCHE.

Les objectifs généraux assignés à la recherche ont été les suivants:

(a) définir la population réputée polyhandicapée dans les établissements d'enseignement spécial des types 2, 4, 5, 6, et 7 de niveau primaire et secondaire (cet objectif impliquant la mise au point d'outils d'évaluation);

(b) analyser les situations éducatives aménagées en équipe pluridisciplinaire, à l’intention des enfants ou adolescents polyhandicapés (cet objectif impliquant la mise au point d’outils d’analyse des situations éducatives);

(c) fournir un feedback quant aux données recueillies aux équipes éducatives impliquées par la recherche et, en fonction de ces données, accompagner chacune de ces équipes dans la reformulation et l’optimisation de son projet d’accueil et d’éducation d’enfants ou d’adolescents polyhandicapés.

 

3. REALISATIONS.

La recherche s'est déroulée en trois phases : une première année (1993-1994) a été consacrée à la mise au point d'outils d'évaluation du développement de la personne polyhandicapée, et à la construction d'instruments de récolte des données devant fonder l’analyse des projets éducatifs.

Ces derniers instruments ont été utilisés en 1994 lors d’enquêtes sur le terrain menées dans six écoles spéciales (quatre écoles d’enseignement fondamental, deux écoles secondaires) ayant mis sur pied une classe expérimentale pour élèves polyhandicapés.

Un premier instrument, intitulé "Prise de connaissance du projet éducatif" représente le support utilisé par les chercheurs pour la détermination et la description ausi complète que possible du projet éducatif (finalités, buts, et objectifs à long, moyen et court terme) élaboré par les établissements scolaires à l'intention des élèves polyhandicapés. Il a servi de guide aux chercheurs: (a) lors de leurs entretiens avec la direction, les intervenants (enseignants, personnels para-médicaux, autres) directement impliqués dans le projet de la classe expérimentale, les personnels de l'école indirectement concernés par le projet sans y être impliqués de manière directe, les agents PMS, et les parents; (b) lors de la consultation des écrits et documents auxquels l'équipe éducative se référait et/ou avaient été produits par elle.

Un deuxième instrument ("Inventaire des ressources et des moyens") est représenté par un questionnaire détaillé, complété par intervenants de la classe expérimentale ainsi que par la direction. Il concerne les ressources humaines et les collaborations dont peut bénéficier la classe expérimentale, ainsi que les moyens mis en place (les pratiques, techniques, et actions éducatives; l'aménagement de l'espace et la structuration temporelle; les équipements et matériels disponibles. Ce questionnaire sollicite des réponses écrites de la part des intervenants. Après que ceux-ci l'aient rempli, le chercheur se rend sur le terrain pour compléter et préciser les réponses (par entretiens et observations).

L’analyse et la synthèse des nombreuses informations et données ainsi recueillies a fourni la matière d’un feed-back personnalisé donné à chacune des écoles concernées (oralement, lors d’une réunion générale, et sous forme de rapport écrit).

Au cours d'une deuxième année (1994-95), nous avons parachevé par une analyse transversale inter-écoles l’étude des projets éducatifs et thérapeutiques aménagés à l’intention d’enfants ou d’adolescents polyhandicapés.

Nous avons également procédé à l'examen développemental approfondi des enfants polyhandicapés accueillis dans les quatre écoles d’enseignement fondamental participant à la recherche. Pris dans leur ensemble, ces enfants constituent un groupe pouvant être considéré comme représentatif des élèves accueillis dans les classes expérimentales.

Cet examen développemental approfondi a emprunté une double voie. Une première voie a permis, sur base de questionnaires élaborés dans le cadre des travaux du Service de Psychologie Différentielle (U.L.B), de recueillir et d’analyser les perceptions des intervenants directement concernés par la classe expérimentale quant aux ressources des élèves en "autonomie dans les activités de vie quotidienne" et en "communication pragmatique" (ces perceptions étant nourries, dans le chef de chacun des intervenants, par l’observation personnelle des comportements de chaque élève). La deuxième est celle de l’examen développemental clinique des élèves polyhandicapés à l’aide d’échelles d’évaluation du développement mis au point dans le cadre des travaux de l’Unité d’Orthopédagogie (U.C.L.). Il s’agit: (a) des échelles ordinales d’évaluation du développement de l’intelligence sensori-motrice (établies sur base des travaux de Piaget, et successeurs); (b) et des échelles ordinales d’évaluation du développement de la communication prélinguistique (établies sur base des travaux de Bruner, de Bates, et successeurs). Etant donné le soin et le respect des caractéristiques individuelles exigé par l’examen psychologique d’enfants polyhandicapés, chaque examen d’enfant a impliqué deux à six rencontres avec l’enfant concerné. Chacun des examens pratiqués a été enregistré en vidéo, et a permis d’établir un rapport individuel, aboutissant à des conclusions éducatives personnalisées.

Enfin, en octobre 1995, une première synthèse des différents acquis de la recherche (phase I et phase II) a été présentée au cours d’une Journée d’Etude à laquelle ont été conviés les représentants: des écoles spéciales concernées par l’accueil d’élèves polyhandicapés; de l’inspection scolaire; de structures extérieures à l’école (IMP, CPMS & CPMSS, autres) également concernées par l’accueil éducatif et thérapeutique d’enfants ou adolescents polyhandicapés; des associations de parents.

La troisième et dernière phase de la recherche a eu lieu au cours de l’année scolaire 1996-1997. Des journées d’observation sur le terrain de la classe expérimentale ont eu lieu dans cinq écoles (quatre écoles d’enseignement fondamental, une école secondaire); les observations ont concerné principalement l’aménagement de l’environnement; les interactions (verbales et non-verbales) entre les adultes et les enfants; et les interactions verbales entre adultes. Les données recueillies ont été systématisées sous forme de différents circomplex, selon une démarche suggérée par Huberman et Miles. Les circomplex concernent les thématiques suivantes: (I) le transfert et l’appropriation des connaissances et des outils acquis par les intervenants lors de formations; (II) les objectifs de la prise en charge des enfants polyhandicapés; (III) l’organisation du travail avec les enfants polyhandicapés - individualisation et activités de groupe -; (IV) l’aménagement de la classe; (V) l’adaptation et l’utilisation du matériel; (VI) la collaboration entre le personnel pédagogique et le personnel para-médical; (VII) la structuration temporelle de la journée; (VIII) les préoccupations quant aux besoins des enfants, face au maintien du savoir professionnel.

Par ailleurs, pour assister l’équipe éducative dans la reformulation du projet éducatif et thérapeutique destiné aux élèves polyhandicapés, des séances "P.A.T.-miroir" ont été organisées à intervalles réguliers dans les quatre écoles spéciales d’enseignement fondamental concernées par la recherche.

"P.A.T. Miroir" © est une méthodologie élaborée par Le Cardinal, Guyonnet et Pouzoullic, qui permet la modélisation et l’analyse des facteurs interagissant dans le contexte particulier d’une coopération finalisée: cette méthodologie permet de comprendre et par là-même de faciliter la conduite d’un projet qui implique plusieurs acteurs se devant de coopérer pour réaliser une intention commune. L’organisation dans les écoles de séances "P.A.T.-miroir" a paru un excellent moyen de répondre aux objectifs suivants: formaliser davantage les problèmes et les besoins ressentis par les équipes et, en même temps, présenter aux équipes un outil dont elles peuvent tirer parti afin de faire évoluer le projet éducatif dans le temps.

 

4. CONCLUSIONS.

Au terme de trois années d’une recherche-action menée avec plusieurs équipes scolaires accueillant des élèves réputés polyhandicapés sévères, nous voudrions, dans ces conclusions, apporter quelques éléments de réponse aux questions suivantes : quelle est la pertinence d'un projet centré sur des enfants et adolescents polyhandicapés sévères dans le cadre de l'école d'enseignement spécial? Qu'implique le choix de mener un projet éducatif et thérapeutique au sein d'une école? Que nous apprennent l'observation des élèves ainsi que les très nombreuses interactions avec les équipes éducatives qui ont accepté de collaborer? Quelles sont les perspectives au delà de ce travail?

 

4.1. Quelle est la pertinence d'un projet scolaire sur l'enfant/adolescent polyhandicapé ?

En Belgique, le nombre d'enfants non scolarisés est très faible. Nous pouvons même affirmer que la grande majorité des enfants handicapés fréquentent une école, quelle que soit la sévérité de leur situation de handicap. La place de l'enfant polyhandicapé sévère dans une école est cependant remise en question: par certains enseignants et thérapeutes, qui, frustrés par la modicité et la lenteur des progrès présentés par ces enfants, disent perdre leur identité professionnelle face à ces "élèves"; également, par certains responsables qui pensent que ces enfants seraient mieux accueillis dans le cadre de l'Aide Sociale (structures IMP), plus à même de fournir le nursing dont ils ont besoin; enfin, par certains parents, qui disent devoir se battre beaucoup pour obtenir, dans le cadre scolaire, des moyens adéquats pour répondre aux besoins de leur enfant.

Toutefois, le travail mené avec les équipes scolaires au cours de la recherche, ainsi que l'expérience acquise en côtoyant parents et enfants polyhandicapés nous mènent, plus que jamais, à affirmer qu'un projet scolaire pour ces enfants est non seulement possible mais, bien plus, souhaitable. Quels sont les arguments qui plaident en faveur de cette affirmation ?

En premier lieu, les enfants réputés polyhandicapés constituent une population très hétérogène: le risque est grand d'exclure de l'enseignement spécial de nombreux élèves appelés un peu à la légère "polyhandicapés", sous-entendant par là un degré de sévérité très important bien que non vérifié objectivement (nous-mêmes avons pu expérimenter, à travers l'utilisation d'outils d'évaluation, toute l'importance de réaliser une approche fine des caractéristiques du développement de l’intelligence sensori-motrice et de la communication, ainsi que de l'autonomie des élèves).

En second lieu, les équipes, lorsqu’elles sont soutenues dans leur réflexion et aidées de manière adéquate, disent découvrir la richesse et le potentiel d'apprentissage de ces élèves (ce potentiel se révèle rarement lors d'une séance d’évaluation de base mais suppose que des observations répétées soient réalisées). De toute évidence, les équipes scolaires peuvent mener à bien un projet cohérent, pour autant qu'elles acceptent un travail sur elles-mêmes.

En troisième lieu, de nombreux parents disent trouver dans l'école une voie de normalisation et d'intégration pour leur enfant, alors que la non scolarisation de leur enfant marginalise davantage celui-ci ainsi que sa famille.

On ne peut en même temps affirmer vouloir l'intégration de tous les enfants et exclure de l'enseignement spécial les élèves les plus sévèrement handicapés. Bien au contraire, la spécificité de l'enseignement spécial, tant revendiquée par d'aucuns, réside sans doute dans l'accueil des élèves les plus atteints, donnant à ceux-ci une réelle chance de s'intégrer socialement. Faut-il rappeler ici que l'absence d'un projet clair pour les personnes polyhandicapées dans notre société et la difficulté d'intégration d'un groupe d'élèves polyhandicapés au sein de l'école pourraient constituer les deux versants d'une même problématique?

En quatrième lieu, la littérature scientifique récente met en évidence la non pertinence d'une opposition entre soins et éducation (opposition reposant sur une fausse conception de la personne polyhandicapée) ainsi que la faisabilité d'une approche éducative globale, basée sur une double conception théorique: (1) les personnes polyhandicapées sont capables d'établir une relation significative avec leur entourage et sont donc des êtres humains à part entière et (2) la prise en charge des personnes polyhandicapées doit être planifiée de telle sorte que l'ensemble de leurs besoins soient pris simultanément en compte .

S’interroger sur la pertinence d'un projet scolaire centré sur des enfants/adolescents polyhandicapés sévères conduit à examiner deux types de relations: (a) les liens entre finalités, buts et objectifs d’une part, ressources et moyens d'action mis en oeuvre d’autre part (ces liens garantissent la cohérence du projet); (b) les liens entre les modalités de l'intervention et les résultats atteints (liens qui quant à eux garantissent l'efficience).

Au cours de la première phase de la recherche, nous avons relevé que les projets scolaires examinés poursuivent les finalités suivantes: (a) reconnaître l’être polyhandicapé comme étant avant tout "quelqu’un", avec des potentialités, et une vie émotionnelle et relationnelle propre; (b) viser l’épanouissement, le bien-être physique et mental de la personne polyhandicapée et, au-delà, son intégration dans la vie sociale; c’est-à-dire, dans un réseau de relations significatives et non limitées à un cadre institutionnel restreint et toujours identique; (c) viser le plaisir et le bonheur de la personne polyhandicapée (ce qui conduit à respecter fondamentalement ce qu’elle est).

Quant aux buts décrits comme essentiels par les équipes, ceux-ci se succèdent dans l'ordre suivant : (a) viser le développement chez la personne d’une communication verbale et non verbale, d’une capacité à exprimer ses besoins, d’un éveil au monde extérieur; (b) viser le développement d’une autonomie maximale dans divers domaines (alimentation, déplacements, propreté, habillage...); (c) viser l’acquisition de comportements sociaux appropriés (ou des rudiments de ces comportements); (d) aménager pour la personne les conditions lui permettant d’atteindre une stabilité émotionnelle et d’éprouver un sentiment de sécurité.

L’examen des ressources humaines et matérielles mises en oeuvre pour atteindre ces finalités et buts a montré que les variables suivantes différencient les écoles: l'adéquation de la proportion adultes/enfants dans les groupes-classes, l'organisation du groupe-classe avec un conducteur, le maintien d'un même groupe pluridisciplinaire d'intervenants autour d'un même groupe d'enfants et ce, pour une période donnée (par exemple, la durée de l'année scolaire), la répartition des activités au cours de la journée/ semaine, une polyvalence des rôles de chaque membre de l'équipe, une collaboration entre école et IMP, un fonctionnement harmonieux des réunions de synthèse, une collaboration étroite avec les parents, une politique de formation des personnels. Par ailleurs, l'aménagement du temps et de l'espace représente un aspect essentiel dans les moyens à se donner pour accueillir les élèves polyhandicapés.

Les données recueillies au cours de la troisième phase de la recherche ont permis de compléter l'analyser des situations éducatives aménagées à l'intention des élèves polyhandicapés.

On a pu constater de la sorte que les équipes scolaires davantage dégagées des soucis posés par les problèmes d'encadrement et les manques de moyens matériels réalisent effectivement un travail d'équipe répondant aux besoins de l'enfant, en trouvant (et en recherchant sans cesse) un juste équilibre entre des activités de stimulation cognitive et une préoccupation centrée sur le bien être-physique et psychologique des enfants.

Si l'individualisation du travail avec les élèves reste encore difficile à réaliser, nous avons pu voir que les équipes scolaires, soutenues par les chercheurs, progressaient dans cette voie.

L'aménagement de l'espace a fait l'objet d'une importante réflexion: l'adoption de la formule "classe-maison" répond bien aux finalités et objectifs énoncés en ce sens qu'elles favorisent la structuration spatiale, qui à son tour favorise l'anticipation et facilite le transfert des apprentissages dans d'autres milieux (famille, IMP, etc.).

L'importance d'une collaboration étroite entre intervenants de diverses disciplines, clé de voûte essentielle de tout projet institutionnel, est apparue ici de manière particulière. Pour autant que les professionnels puissent se débarrasser de toute une série d'a priori quant à leur fonction traditionnelle, le savoir technique des uns et des autres contribue à renforcer le projet collectif. La place de l'enseignant paraît ici capitale dans la mesure où il reste le garant d'un apprentissage cognitif de base et d'une planification des activités de stimulation.

Globalement, on constate que les équipes progressent vers davantage de cohérence et vers une plus grande efficience.

 

4.2. Qu'implique le choix de mener un projet éducatif et thérapeutique au sein d'une école ?

Aller vers plus d'efficience suppose un réajustement permanent des modalités de fonctionnement.

Bien plus que de poursuivre un débat stérile et dangereux sur la scolarisation ou non scolarisation des enfants polyhandicapés (débat sous-tendu par les notions d'éducabilité et de non éducabilité), apparaît clairement à l'issue de la recherche la nécessité de donner aux équipes les ressources et les moyens permettant la réalisation d'un projet éducatif ambitieux pour ces enfants. Les résultats attendus pour eux en termes d'épanouissement individuel, d'apprentissages cognitifs et de socialisation peuvent être atteints si et seulement si une politique globale et volontariste est envisagée, tant au niveau des pouvoirs administratifs et politiques qu’à celui des équipes éducatives singulières.

4.2.1. Implications au niveau du macro-système.

La politique que nous envisageons doit s’attacher de toute urgence:

(a) à (re)définir les modes de collaboration entre IMP et écoles, en s'appuyant, plutôt que sur le clivage traditionnel entre "nursing" et "instruction", sur une conception de l'éducation comme une approche globale centrée sur la personne de l'enfant;

(b) à mettre en place l’éducation continue de l'enfant polyhandicapé, de la naissance à la fin de la période scolaire secondaire. Ceci implique qu’une coordination très étroite s’établisse entre services d'aide précoce, centres d'accueil de la petite enfance, écoles maternelles et primaires, écoles secondaires;

(c) à mettre en place une politique concertée de formation, alliant les moyens proposés actuellement dans divers départements ministériels, et proposant un appui à des équipes en place sous la forme d'accompagnement sur site, de travail à l'intérieur de mini-réseaux institutionnels (trois ou quatre institutions créant un espace d'échanges permanents entre elles) et de modules spécialisés en fonction des besoins, qui naissent au fur et à mesure que les équipes progressent en maturité. La mise en place de cette politique de formation doit s'accompagner de la création d'un ou plusieurs centres de ressources, permettant une ouverture sur les connaissances et les matériels disponibles au niveau européen et international;

(d) de manière plus ambitieuse encore, au dépassement d'un clivage strict entre types d'enseignement spécial, afin de rassembler les acquis d'équipes diverses, davantage confrontées tantôt avec le retard mental, tantôt avec la déficience motrice et neuro-motrice, et tantôt avec les déficiences sensorielles. Ce dépassement répond à l'exigence d'une approche globale de la personne polyhandicapée;

(e) à une meilleure caractérisation des populations déclarées polyhandicapées, non pour créer de nouvelles catégories et sous-catégories, mais pour construire des projets individualisés sur base d'outils éprouvés. Les universités doivent continuer à mettre à disposition des équipes éducatives de tels outils et la recherche dans ce domaine doit être stimulée. En particulier, de nouvelles approches devraient être mises au point dans le domaine de l’évaluation des potentialités et caractéristiques sensorielles;

(f) à prendre en considération les besoins matériels et les contraintes administratives ou organisationnelles rencontrés par plusieurs équipes, trop isolées, vivant perpétuellement sous la menace d’une disparition, et non reconnues dans leur spécificité.

4.2.2. Implications au niveau des micro-systèmes.

Par ailleurs, les données recueillies au cours de la recherche montrent, une fois de plus, l’importance d'un partenariat avec les familles et son rôle essentiel dans la cohérence des projets éducatifs: ce partenariat implique un partage de savoir et le respect de l'identité de chacun et de tous, professionnels et parents, sans confusion de rôles toutefois.

L’importance également de la recherche d'un équilibre entre le "dedans" et le "dehors", à divers niveaux qui s'emboîtent . Au coeur de la relation intervenant-enfant polyhandicapé: il s'agit de trouver un juste milieu entre une approche uniquement relationnelle et une approche basée uniquement sur la technicité de l'acte éducatif. Dans le cadre de l'équipe pluridisciplinaire: chaque intervenant doit être amené à expliciter son projet et à communiquer avec ses collègues et, réciproquement, chaque professionnel doit pouvoir recourir à l'équipe comme référent afin d'éviter le morcellement de l'action éducative et thérapeutique. Entre l'école et l'extérieur: il s’agit de réaliser l’ouverture du projet sur l'extérieur (les familles, les autres structures d'intervention -spécialisées ou non-). Cette ouverture implique l’incorporation d'idées neuves, l’analyse critique de son projet par des experts extérieurs, la confrontation avec d'autres équipes éducatives, etc.

La recherche a pu montrer que le recours à la méthodologie "P.A.T.-miroir" permet d'aider les équipes à formaliser les problèmes et les besoins ressentis, et de faire évoluer le projet éducatif dans le temps. Cette méthodologie peut faire l’objet d’une appropriation personnelle par les équipes. Elle demande cependant un accompagnement extérieur plus soutenu pour certaines équipes encore trop fragilisées et peu sûres d'elles-mêmes.

Est également apparue l’utilité de la mise en place dans chaque établissement d'un "animateur-conducteur" référent (dans les petites équipes, ce rôle peut être assumé par le directeur), se préoccupant de penser en termes de cohérence la globalité des projets individuels et collectifs, d'établir les programmes éducatifs individualisés, de gérer les ressources humaines et matérielles et, par tout cela, de lutter contre le phénomène d'épuisement et contre la routine.

Enfin, est apparue à nouveau toute l’importance d'un travail centré sur le fonctionnement de l'équipe pluridisciplinaire: un langage commun doit être trouvé entre les divers intervenants. Déjà, une recherche antérieure centrée sur la construction d'un "dossier-élève" (cfr. les travaux du Service de Psychologie Diffférentielle de l’U.L.B.) avait pu mettre en évidence toute la richesse d'une méthodologie basée sur l'analyse des différences de perceptions entre les divers intervenants quant aux compétences d’un même enfant. Cette méthodologie, largement expérimentée et évaluée, favorise l'émergence d'une transdisciplinarité au sein des équipes. Les outils plus classiques d'évaluation et l'approche des compétences par le dossier-élève se sont révélés être complémentaires.

 

4.3. Que nous apprennent l'observation des élèves ainsi queles très nombreuses interactions avec les équipes éducatives qui ont accepter de collabroer ?

Il paraît évidemment essentiel de se poser la question des caractéristiques des élèves rencontrés dans les différentes écoles. Les enquêtes menées en 1991-1992 par la commission instaurée par le Conseil Supérieur de l'Enseignement Spécial avaient révélé des profils d'élèves très différents d'une école à l'autre. Jouait aussi un effet de contraste dans les perceptions des intervenants quant aux compétences des enfants: dans les écoles à majorité d'élèves handicapés "légers", les élèves présentant plusieurs déficiences étaient davantage perçus comme appartenant à la catégorie des enfants polyhandicapés sévères alors que, dans les écoles à majorité d'enfants handicapés sévères, le profil de l'élève réputé polyhandicapé sévère se révélait être nettement inférieur. De plus, avait été mise en évidence une différence entre les perceptions des enseignants (profils plus nuancés, montrant des compétences en émergence) et celles des thérapeutes (profils nettement plus faibles pour les mêmes élèves), ainsi qu'une différence entre les perceptions des intervenants relevant de l’enseignement primaire et celles des intervenants relevant de l’enseignement secondaire.

Il n'est donc pas étonnant de retrouver une très grande hétérogénéité des profils dans la présente recherche, quelle que soit le méthodologie d'évaluation utilisée. Cette hétérogénéité peut sans doute être reliée à plusieurs phénomènes. L' être polyhandicapé n'est pas une somme de déficiences; comme plusieurs auteurs l'ont démontré (par exemple Mittler), il existe entre les déficiences une interaction complexe, qui définit pour chaque personne une singularité du tableau clinique. L’existence d’une hétérochronie (concept développé par Zazzo) se traduit quant à elle par le développement différentiel de chaque zone de compétences, certaines zones se développant plus vite pendant un certain temps chez certains enfants; ainsi, les différences intra-individuelles viennent compliquer le tableau des différences inter-individuelles. Enfin, on observe un grand décalage entre les exigences du milieu (en général) et les possibilités des enfants polyhandicapés : ainsi, l'histoire individuelle des opportunités de stimulations offertes ou non à chaque enfant au cours de son développement ( du développement précoce en particulier) est à prendre en considération.

Dans la présente recherche, nous avons eu recours pour l’évaluation du développement de l’enfant à une méthodologie d’évaluation de longue haleine: (a) récolte et confrontation des perceptions des intervenants à propos des performances de chacun des enfants dans divers domaines du développement de l’autonomie et de la communication pragmatique; (b) évaluation clinique du développement de l’intelligence sensori-motrice et de la communication pré-linguistique, pour chacun des enfants concernés.

Les données recueillies confirment la pertinence d’une évaluation développementale approfondie: observation fine de l’enfant en divers contextes, menées par les intervenants proches de l’enfant (parents et professionnels). A été confirmée également la pertinence de l’évaluation développementale clinique, impliquant une observation tout ensemble systématique et flexible, menée à l’aide d’instruments hiérarchiques (= échelles ordinales) inspirés de manière directe par des théories fondées du développement cognitif et communicatif. L’utilisation avertie de telles échelles permet non seulement de repérer les comportements en émergence mais, aussi, d’identifier certaines compétences qui parfois passent inaperçues dans le flot des activités quotidiennes, et d’identifier également les stratégies à la disposition de l’enfant dans ses échanges avec l’environnement.

Faut-il rappeler également que l'évaluation d'un enfant n'a de sens que si elle s'intéresse au fonctionnement de l'enfant et s'inscrit dans un projet d'intervention à court ou moyen terme?

Ceci étant posé, qu'avons-nous relevé dans la présente recherche concernant les enfants examinés?

Un premier constat est que, en matière de développement cognitif et communicatif, les niveaux de développement maximaux relevés pour ces enfants examinés se situent au niveau des âges développementaux de 24 et 30 mois.

La majorité des profils individuels sont hétérogènes. Ils font apparaître que des domaines du développement sont particulièrement déficitaires et nécessitent une stimulation soutenue et adéquate. Il en est ainsi de l'imitation vocale et gestuelle, des schèmes de relation avec les objets et de certaines compétences communicatives. Une attention orientée vers l'acquisition de ces compétences conduirait peut-être les sujets à obtenir un profil de développement plus harmonieux.

Les groupes-classes sont également hétérogènes. Cette hétérogénéité démontre toute la pertinence des programmes éducatifs individualisés.

A la question de savoir "Qui sont les enfants réputés polyhandicapés ?", on peut à ce stade compléter comme suit la définition donnée au départ de la recherche : "Les enfants polyhandicapés sont des sujets présentant un handicap mental sévère à profond associé à des troubles moteurs et/ou sensoriels et/ou du comportement; nécessitant plus qu'aucun autre des stimulations variées dans un environnement adapté et de qualité (structuré et sécurisant); ayant un rythme et une trajectoire de développement particuliers".

Soulignons enfin l’un des résultats marquants de l’analyse, et qui ne peut manquer d’interpeller. Il s’agit en l’occurrence des performances très faibles, chez le plus grand nombre des enfants polyhandicapés, en imitation vocale et gestuelle (les comportements d’imitation vocale étant habituellement les plus touchés). Or, chez le jeune enfant à développement normal,les compétences en imitation représentent une voie importante d’acquisition de compétences nouvelles (autrement dit, d’apprentissage); de plus, les comportements d’imitation représentent un instrument puissant d’engagement et de maintien des interactions sociales. Le déficit en imitation habituellement noté pour les enfants polyhandicapés mène donc à conclure que ces enfants sont démunis à un double point de vue: celui de l'apprentissage, et celui des interactions sociales.

La recension de la littérature spécialisée en psychologie du développement à propos des compétences en imitation et des comportements d’imitation chez les jeunes enfants à développement normal a mené à soulever plusieurs questions d’ordre théorique à propos des enfants polyhandicapés, dont une question dont les implications éducatives sont évidentes: "Les enfants polyhandicapés sont-ils encouragés dès leur plus jeune âge, comme le sont les enfants à développement normal, à imiter les comportements vocaux et/ou gestuels proposés par l’adulte au cours des moments d’interaction privilégiée avec l’enfant?"

 

4.4. QUELLES SONT LES PERSPECTIVES AU DELA DE CE TRAVAIL ?

La plupart des éléments de nos conclusions ne sont pas spécifiques à la population réputée polyhandicapée. La nécessité de telle ou telle redéfinition, de tel ou tel outil d'évaluation, de telle ou telle ressource matérielle, de tel ou tel changement dans les modalités de fonctionnement se fait également sentir dans le cadre de l’accueil d'autres populations, plus légèrement atteintes. Mais, comme le premier auteur a pu maintes fois l’exprimer, le polyhandicap exacerbe l'acuité des problèmes, fait ressentir davantage les manques, oblige à une plus grande rigueur pour obtenir des résultats.

Ceci dit, la préoccupation qu'a eu le Conseil Supérieur de l'Enseignement Spécial (relayé en cela par le Ministère de l’Education) de promouvoir une recherche analysant les conditions de réalisation de projets éducatifs centrés sur les élèves polyhandicapés, témoigne de la volonté de prendre en considération ces enfants et adolescents perturbant l'image un peu traditionnelle que d'aucuns se font de l'école.

La présente recherche a montré que ces élèves ont effectivement leur place à l'école. Cette étude toutefois devrait être poursuivie. Différents thèmes peuvent être envisagés: (1) affiner la connaissance des élèves réputés polyhandicapés accueillis dans l’enseignement secondaire (la présente recherche n'a pu approfondir suffisamment l’étude de cette population, accueillie dans une structure plus "éclatée" que celle de l’enseignement fondamental, et sans doute plus difficile à gérer pour cette raison); (2) suivre les progrès réalisés par les enfants dans des programmes éducatifs bien pensés, permettant l’individualisation des interventions; (3) déterminer les filières qui mènent tel ou tel enfant à être orienté comme polyhandicapé vers telle structure plutôt vers telle autre, vers tel type d’enseignement spécial plutôt que vers tel autre; (4) décoder les comportements inadaptés graves (appelés aussi "comportements-problèmes" ou "comportements-défis") pour lesquels plusieurs lectures sont nécessaires (ceci est particulièrement vrai pour les comportements auto-mutilatoires); (5) affiner (le temps a manqué à la présente recherche pour le faire) les échelles d’évaluation développementale clinique existantes, à l’intention d’enfants présentant des difficultés particulièrement importantes dans le domaine de la motricité fine ou, encore, d’enfants présentant des déficiences visuelles et/ou auditives marquées.

Bien entendu, pour sa plus grande partie, le travail de connaissance des populations réputées polyhandicapées doit se poursuivre à partir des observations et analyses menées par les intervenants de terrain eux-mêmes. Les divers modules de formation mis en place actuellement devraient le permettre.

Enfin, les ressources développées au niveau européen devraient être mises de manière plus systématique à la disposition des intervenants (parents et professionnels). Les programmes de formation doivent s'ouvrir aux parents. C'est dans ce sens qu'oeuvre actuellement le projet EUFORPOLY dans le cadre du programme européen LEONARDO da VINCI .

 

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