L'usage de la métaphore dans l'entretien familial
Introduction
Dans notre métier de psychologue à lécole, nous sommes souvent sollicités, probablement sur les conseils dun enseignant, pour des petits problèmes de la vie quotidienne ne regardant pas nécessairement la vie scolaire et encore moins le psychologue y uvrant.
La plupart du temps cest à lécole maternelle que des mamans inquiètes interrogent les institutrices à propos de difficultés de sommeil, de troubles de lalimentation, voire de relations conflictuelles parents/enfants alors que ce dernier ne se fait pas plus remarquer que les autres en classe ou en cour de récréation.
Certaines vont répondre à ces demandes de conseils, ne sachant pas alors quelles renforcent lattitude infantile dune mère demandant à sa propre mère (personnalisée ici par linstitutrice) comment élever son enfant.
Dautres, pressentant probablement la nécessaire professionnalisation dune telle réponse, vont donner notre numéro de téléphone ou notre jour de permanence. Le rendez-vous est alors pris et nous recevons la famille souvent réduite à la mère et lenfant.
Dans certains cas, cependant, il peut s'agir de réelles difficultés d'intégration scolaire (indiscipline, fugues ), mais on remarque alors que l'enfant réussit scolairement. Ce qui nous met dans l'embarras car notre mission est bien de permettre aux élèves la réussite scolaire. Il s'agit plus alors d'un certain mal être identifié par l 'enseignant qui nous adresse la famille qui n'attend que cela.
Si on se donne la peine découter ce que parents et enfants ont à dire, on se rend compte que ces situations, banales dans leur présentation initiale, révèlent souvent des problématiques plus profondes.
SANCHEZ-CARDENAS(6), citantBLEJER(3), nous fait bien comprendre de " deux éléments sont à considérer : " d'une part il y a le " relief " : c'est le symptôme pour lequel a lieu la consultation ; d'autre part, invisible au premier abord, le " fond " : c'est la symbiose inter-individuelle dont la famille est porteuse ".
Ce problème sous-jacent(le fond), lenfant et les parents nen ont peut-être pas conscience en tant que tel au départ, mais ils en ont probablement lintuition (inconsciente) puisquils prennent un rendez-vous avec un psychologue.
Cest comme si la famille venait faire le point sur quelque chose dindéfinissable pour elle et ne pouvant sélaborer que sous couvert de cette banalisation.
Dans ce cas, quelle aide fournir aux parents ? A l'enfant ?
En effet, au cours de lentretien, chemin faisant, on va découvrir en même temps queux que les difficultés de lenfant qui ont motivé cette rencontre se rattachent à lhistoire des parents et même à lhistoire de la famille élargie dans sa dimension transgénérationnelle.
Quel peut être alors notre rôle face à cette demande qui saffirme au fil du temps de lentretien ?
Restons-nous dans le cadre de notre mission de psychologue scolaire dont l'une des actions est définie comme le " suivi " psychologique ou " glissons " nous imperceptiblement dans un cadre de soin qui ne nous concerne pas ? Je rappelle ici que le " suivi " psychologique tel qu'il est défini par les textes officiels (BO n°16-19 avril 1990) a pour objet, pour ce qui concerne les adultes, de rechercher conjointement l'ajustement des conduites et des comportement éducatifs.
Je voudrais évoquer trois situations, trois histoires, qui se sont présentées ainsi , vous laissant imaginer ce que vous auriez pu faire ou proposer dans de tels cas.
Lola
ou
" Ce que rester à table veut dire "
Sont présents à lentretien Lola 4 ans, sa sur Marine3 ans et leur mère.
Psy : Quest ce qui vous amène ?
Mère : Un comportement qui minquiète. Lola mange, mais découpe sa nourriture en tout petits bouts. Je lai mise une fois à la cantine, elle na rien mangé. Un morceau de pain. Elle ne veut pas goûter. Elle ne mange pas de viande, pas de légumes. Elle ne mangerait que du pain et du beurre. Elle ne veut pas goûter . Elle ne goûte pas. Elle dit " je mangerai quand je serai grande ". Je lai déjà envoyée voir un pédopsychiatre. Il ma dit que tout allait bien.
Psy : Vous, vous pensez que ça ne va pas ?
Mère : Comme par hasard, ce matin, elle a bien mangé.
Psy : Quoi ?
Lola : Du poisson.
Mère : Elle mange toujours la même chose : poisson en bâtonné ou un petit bout de jambon. Quest-ce que tu aimes aussi Lola ?
Lola : Du riz.
Mère : Sans rien dessus.
Psy : Pas de mélange !
Mère : Par contre elle a mélangé son poisson et sa semoule à midi. Ce quelle fait jamais.
Psy : Et vous, quand vous étiez petite ?
Mère : Jétais boulotte, je mangeais bien. Jétais la plus petite et la plus ronde. Un peu comme Marine. On mappelait " la grosse " ou " pot à tabac ".
Psy : Qui ?
Mère : Mes frères et surs.
Psy : Vous avez beaucoup perdu (la mère est mince).
Mère : Jai changé.
Psy : Là, quest-ce qui vous chiffonne le plus ? Je ne saisis pas très bien.
Mère : Parce que les repas, jaimerais que ce soit convivial. Elle est jamais là (à table). Elle se lève. Elle est jamais là. Cest pas le fait de ne pas manger. Cest le fait de ne pas partager ce moment là.
Psy : Où vous vous retrouvez tous ensemble.
Mère : Dès fois le papa est avec nous.
Marine : Papa sappelle
Lola : Jean-Pierre
Marine : Maman sappelle Martine.
Psy : Comme dans votre enfance ?
Mère : Je me rappelle même pas. On discutait même pas. On restait à table. Nous, cétait des grandes tablées : 10, 12 à table. Cétait des bons moments. Ma mère gardait des enfants.
Psy : Vous en avez la nostalgie ?
Mère : Je suis peut-être vieux jeu. Même par rapport à mes surs. Elles me disent " laisse là donc ! ". Moi je peux pas.
Psy : Vous ne retrouvez pas ça dans votre foyer ?
Mère : Jaime les grandes tablées, avec cousins, cousines. Moi, jaime bien les moments à table. Lola doit être là.
Psy : Pourquoi elle serait pas là ?
Mère : Lola va chez son père, Marine va chez Jean-Pierre et Jean-Pierre vient à la maison.
Psy : Vous vivez avec qui ?
Mère : Je suis avec personne. On a deux appartements. Le soir on va chez lui.
Psy : Qui ?
Lola : Jean-Pierre, mon papa.
Mère : Elle voudrait être tout le temps là-bas.
Génogramme
Psy : Ca ne favorise pas les grandes tablées familiales.
Mère : Mais à nous trois on peut faire une tablée.
Psy : Constituer une famille à vous trois ?
Mère : Honnêtement, jaime pas trop en parler aux enfants. Il ny a pas trop de demande de leur part. Le problème, cest que lorsque Jean vient chercher Lola, elle ne veut pas y aller. Elle se cache sous la table.
Clémence
ou
" Chacun fait son propre deuil. "
Psy : Quest ce qui vous amène ?
Mère : Ce qui sest passé cest que après les vacances de Noël, linstitutrice à remarqué un changement de comportement, qui est devenu agressif envers les autres. Nous aussi on sétait rendu compte. Comme la maîtresse nous a fait venir Il y a pas mal de choses qui se sont passées. On a emménagé dans cette ville en septembre. Et cest au niveau dévénements qui ont pu la perturber. Elle avait un petit frère de 3 ans décédé dune leucémie.
Psy : Quand cela ?
Mère : Il y a un an et demi, en décembre. Ca a été une épreuve pour la famille. Elle ne trouve pas à lécole dautres à qui en parler. Personne ne connaît son histoire. Dans son milieu scolaire précédent, elle a eu loccasion den parler. Cest peut-être ce qui fait sa petite agressivité. Elle en veut peut-être aux autres. Elle fait de beaux dessins. Montre au psychologue le dessin que tu as fait hier !
Mère : Cest peut-être difficile den parler. Et en plus il y a un bébé qui arrive aussi au mois de mai.
(Clémence est prise dun accès de tics)
On revit des choses.
Mère : Dautre part, une chose dont mavait parlé linstitutrice, par rapport à sa taille. Cest une crevette. Elle est pas grande. Au niveau de la famille on est pas grands. Je ne suis pas très grande et cest pareil Du côté de son papa. On a pas un gabarit. Elle ne sera pas immense. En maternelle cétait une petite poupée quon chouchoutait un peu . En primaire, cest plus les enfants entre eux. La maîtresse nous en a parlé. Elle était un petit peu touchée par ça.
Clem : On me disait tes grande comme un pouce, une fourmi.
Mère : On lui a dit quelle a une croissance normale. En plus elle est de la fin de lannée, elle est née un 25 décembre. Linstitutrice nous a dit de la rassurer.
Par rapport au décès de Théo, on avait eu un contact avec un psychologue. Il lui avait fait faire des dessins. On était revenus une fois avec mon mari. Il avait dit sil y a besoin Quand on en parle, ça fait resurgir la peine. Les enfants ont tendance à vouloir ne pas créer la peine. Jai essayé den parler régulièrement. Théo fait partie de notre vie. Pas quelque chose de négatif. Quand on lévoque, cest du souvenir.
Psy : Quand as-tu fait ce dessin ?
Clem : Je lai fait hier.
Psy : Tu en fais souvent ?
Clem : Jadore dessiner.
Mère : Tu avais fait un poème aussi, un poème sur la maladie, la leucémie, que cest une maladie grave, que ton frère est mort subitement, quon a pas eu le temps de le sauver. Cest une maladie qui te fait peur ?
Clem : Oui, jaurais pas aimé être à sa place. Je lui avais dit plein de choses méchantes avant quil soit mort. Javais fait des dessins pour lui et je lui avais dit " si tu membêtes encore, jarrache tous les dessins ".
Psy : Celui que tu as apporté, il est pour qui ?
Clem : Il était pour lui.
Psy : Quest-ce que tu vas en faire ?
Clem : Je vais le garder, laccrocher à mon mur. Sinon cest dans le couloir.
Mère : Dans ta chambre il y a plein de photos de Théo.
(Le psychologue prend le dessin, le plie en deux et lagrafe, sans trop savoir pourquoi il fait cela, intuitivement.)
Clem : Je veux faire un dessin.
(Pendant que lentretien se poursuit, Clémence dessine un coucher de soleil.)
Psy : Vous avez parlé de son frère à linstitutrice ?
Mère : On en avait pas parlé, mais elle ma dit " je suis au courant pour Théo parce que Clémence men a parlé. Autrement, au point de vue scolaire , la maîtresse nous a dit que cétait très bien. Simplement un peu moins attentive. Elle ne termine pas son travail. Elle a constaté un petit relâchement. Elle est moins concentrée.
Clem: De toute façon vous allez voir une autre fille de ma classe, parce quelle est lente, comme moi. Elle répond à la maîtresse et elle ne va plus avoir de copines. Elle crie sur les autres.
Mère : Lincident de la taille, la classe doit aller au Futuroscope et les autres disent : " ah Clémence, tu vas peut-être pas pouvoir venir ! ".
Clem : Donne (le dessin). Pourquoi tu as agrafé le dessin ?
Psy : pour le fermer.
Clem : Pourquoi ?
Psy : Parce que cest comme la vie de Théo.
Et lautre, quest-ce quon en fait ?
Clem : Cest pour Maman.
Psy : Je vais le mettre dans une chemise.
Quelle est la couleur préférée de ta maman ?
Clem : Bleu.
Mère : Cest ta couleur préférée. Cest pas la mienne. Mais le bleu ça va.
Psy : Quelle est votre couleur préférée ?
Mère : Rouge.
Psy : Je vais le mettre dans une chemise rouge.
(Clémence écrit sur la chemise : " pour maman, je t© aime beaucoup ".)
Clem : Et quelle est la couleur préférée de Papa ?
Psy : Au fait, où est ton père ?
Clem : Je lappelle Jacques.
Mère : Quand il y avait Théo, cétait papa. Ca avait changé un petit peu. Clémence, son papa cest Xavier.
Clem : Mon papa là il est à Biarritz.
Mère : Elle le voit pas souvent. Pas assez souvent.
Clem : Jétais allée avec lui en vacances ; On avait fait des sauts dans leau.
Mère : Du rafting.
Psy : Tu avais aimé ça ?
Clem : Adoré ça. Mon papa avait sauté dun pont.
Mère : Les sports de lextrême. Clémence a pris la fibre. Cest des choses que vous avez en commun. Cest quelque chose quelle aime, moi jaime pas le sport, je suis une trouillarde.
Clem : Mon papa il a aimé 3 Sylvie, maman cétait la première. Maintenant il aime une Christine.
Psy : Pourquoi ils ont divorcé ?
Clem : Mon papa était en train de rouler sur la route, un camion est passé, il avait la main dehors, sur la voiture, le camion lui a arraché les doigts. Il avait plus que le pouce. Il avait plus de travail. Il était serveur dans un bar. Maman devait payer tout, cétait dur pour elle. Maman regardait des photos, il sortait avec une autre. Elle en avait marre, elle a divorcé.
Psy : Cétait pas un bon mari ?
Clem : Oui Je laime quand même.
Psy : Cétait pas ton mari !
Clem : Mon papa Je sais pas si vous connaissez " Madame Doubfire " ?
Le papa, cest un peu comme ça, il aime bien samuser comme les enfants.
Mère : Oui, cest tout à fait ça.
Psy : Cest ce que lui reproche sa femme dans le film. Mais le père et les enfants sont très malheureux dêtre séparés.
Mère : Ce que je me demandais, cest par rapport à tout ce quon a vécu dans la famille, est-ce quelle a besoin dun contact avec un psychologue ?
Sophie
ou
" Chacun fait sa propre recherche. "
La mère de Sophie appelle le psychologue scolaire. Sa fille, qui a 9 ans et est au Cours Elémentaire 2ème année, ne veut plus aller à lécole. Elle sest sauvée ce matin et est arrivée derrière sa mère en courant lorsque celle-ci arrivait à son domicile.
Sophie se plaint souvent davoir mal au ventre, sa mère ayant dû aller la rechercher à lécole à plusieurs reprises.
La maman dit que Sophie na jamais aimé lécole, pourtant elle a toujours eu des instits sympas. Mais elle naime pas ça.
Psy : Pourquoi tu viens me voir ce matin ?
Sophie :
Psy : Tu ne sais pas ?
Sophie : (haussement dépaules)
Psy : Si on tamène me voir, cest quil y a un problème.
Sophie :
Psy : Comment on peut le définir ?
Mère : Elle pleure pour aller à lécole. le dimanche elle commence à sangoisser, elle ne mange pas parce quil y a école le lendemain.
Psy : Cest cela ?
Sophie : (fait oui de la tête)
Psy : Quand tu penses à lécole le dimanche, à quoi penses-tu précisément ?
Sophie :
Psy : Quest-ce qui te fait peur comme ça ?
Sophie : Les élèves.
Psy : Tous ?
Sophie : Non .
Psy : Lesquels ?
Sophie : Un groupe de filles.
Psy : Quest-ce quelles font ?
Sophie : Quand je suis à la cantine, elles me balancent des trucs dans mon assiette.Elles parlent entre elles des fois et elles me regardent. Et aussi elles se moquent de moi parce que jai un chapeau à oreilles.
Psy : Tu las ici ?
Sophie : Oui.
Psy : Montre !
Mère : Sophie, aussi, elles disent que tes un garçon.
Sophie : Elles disent que je suis un garçon.
Psy : Tu aimes bien mettre ce chapeau ?
Sophie : Cest pratique.
Psy : Tu laimes bien ?
Sophie : Oui.
Mère : Cest elle qui la choisi.
Psy : Et ton papa, quest-ce quil en dit ?
Sophie : Il est parti.
Psy : Où ?
Sophie : A la montagne. Il habite à la montagne.
Psy : Depuis longtemps ?
Mère : Tu as quel âge ?
Sophie : 8 ans.
Mère : 8ans. On a jamais vécu ensemble.
Psy : Tu le connais ?
Sophie : Oui.
Psy : Quand est-ce que tu las vu pour la dernière fois ?
Sophie : Il y a pas longtemps. Pendant les grandes vacances.
Mère : Au mois daoût.
Psy : Tu aimes bien aller chez lui ?
Sophie : Jaime bien aller chez lui.
Psy : Et lui ? Il aime que tu viennes le voir ?
Sophie : Je sais pas trop parce que jy vais pas souvent. Jy suis allé quune fois.
Psy : Comment ça ?
Mère : Sophie en parlait de plus en plus. Alors jai repris contact pour aller le voir, pour quelle le connaisse.
Psy : Comment ça sest passé ?
Mère : Bien, mais Sophie, il ne tas pas présentée à tout le monde comme sa fille.
Psy : Ca vous embête quon parle de ça ?
Mère : Non. Au contraire. Lécole, cest peut-être ça.
Psy : Quest-ce quil a dit aux autres ?
Sophie : Il ma juste présentée comme ça, comme si on était des copains.
Psy : Elle vous en parlait depuis longtemps ?
Mère : A moi non. Mais à sa tante, à mes copines.
Psy : Comment il a pris ça ?
Mère : Il a réfléchi. Il était pas trop attiré par les enfants. Je lui en ai parlé, montré des photos et apparemment il est plus attiré par les enfants de cet âge que par les bébés. Ca sest bien passé. Mis à part le fait quil na pas dit que cétait sa fille. Elle a du mal à le digérer.
Psy : Quest-ce quil faudrait pour quil puisse la présenter comme sa fille.
Mère : Quil la reconnaisse.
Sophie : Quest-ce que ça veut dire ?
Mère : Quil aille à la mairie et donne son nom. Un moment il a hésité à la reconnaître. Il est parti. Alors jai fait une reconnaissance anticipée, on avait parlé dIVG. Il y a dautres histoires dans la famille. Je veux pas en parler. Il y a eu des faits dans ma famille, il a pu se sentir jugé.
Psy : Vous voulez dire quil a fuit ?
Mère : Parce quil avait peur des responsabilités. Pas parce que jallais accoucher dun monstre. Tu sais, un homme
Sophie : Je suis pas un monstre.
Mère : Non. Seulement, il aurait pu la reconnaître. Pour lélever à deux. Comme père oui, mais pas vivre avec lui.
Psy : Alors, quand tu es arrivée à lécole et que tu es retournée à la maison sur les talons de maman, quest-ce qui tas pris ?
Sophie : Je lavais pas vue souvent.
Psy : Qui ?
Sophie : Ma mère.
Psy : Comment ça se fait ?
Mère : Je suis infirmière. Cest une amie qui la garde à la maison pendant 4 jours.
Sophie : Tu es déjà partie 5 jours.
Mère : Cest rare. Cest vrai que quand je pars, elle est malheureuse. Après ça se passe assez bien. Pendant les 4 jours on se téléphone. Après jai plein de jours de repos.
Notre relation est fusionnelle. Elle est collée, collée. Elle a des angoisses de mort. Si je suis pas là, elle a peur que je meure. Je pars un peu, je me dis que ça y fait pas de mal.
Psy : Vous pensez quil faut faire quelque chose par rapport à ça ?
Mère : Oui. Elle souffre. Elle se rend malheureuse et elle ne peut pas profiter de linnocence de lenfance. Elle me demande si à son âge je me demandais ce que jallais faire de ma vie. Et elle se dévalorise aussi . Alors que pour son maître, elle est dans les 2 premières de la classe.
Psy : Vous avez pensé à aller voir un psychologue en ville ?
Mère : Oui , une thérapie familiale ou un pédopsychiatre. Comme à lécole on ma proposé de voir le psychologue scolaire. Mais je savais quil y avait dautres problèmes . Pour moi, je sais pas comment faire. Est-ce quil faut être ferme ? Des gens disent quelle est gâtée, quelle ramasse pas assez de calottes. Jen ai ramassé plein étant jeune. Mais cest pas une raison. Je veux pas être ferme, mais je veux pas quelle souffre. Je lui ai dit : " sil y avait une fée, quest-ce que tu lui demanderais ? "
Psy : Oui, quoi ?
Sophie : 1-Revoir ma copine qui a déménagé.
2-Un chien.
3-Une nouvelle maison, à la campagne.
Mère : Oui. Cest ce quelle ma répondu.
Quest-ce que vous en pensez ?
Psy : Quelle se sent seule.
Est-ce que vous pensez que cest utile quon se revoie ?
Mère : Je le souhaite.
Commentaires
L'usage de la métaphore, si bien décrit par ANDOLFI et Coll.(5), n'est pas du sel apanage du thérapeute. Il peut être un moyen d'aider la famille à comprendre le sens du problème qui l'amène à nous consulter, si l'on s'efforce de le décoder, qu'il soit proposé par la famille elle-même et en particulier au travers des activités créatrices des enfants au cours de l'entretien familial, ou si le psychologue sait " jouer ", de manière intuitive, de ses propres résonances personnelles. Si l'on considère les entretiens familiaux organisés dans le cadre du " suivi " psychologique comme un processus de recodification commune effectuée par le psychologue à l'intérieur du système familial, c'est dans cet espace transitionnel, cet espace de médiation entre le sujet porteur du malaise et la famille dans son ensemble, entre signifiant et signifié, tant au niveau de l'individu qu'au niveau groupal, que l'occasion est donnée de créer un nouveau code dans le groupe familial où la métaphore pourra prendre la place du symptôme de l'enfant et permettre au signifiant, mais aussi au signifié particulier de chacun, de trouver sa place.
Le processus de métaphorisation
Au cours d'un entretien familial nous sommes souvent amenés à écouter ou être sollicités à utiliser un langage particulier avec les expressions, des représentations, des images métaphoriques.
Chaque fois que cela se produit, comme le souligne NICOLÓ CORIGLIANO(5), toute la famille se mobilise et tout ce qui était alors éparse se rassemble et prend sens. Ce qui était sous-entendu devient plus clair. Ce qui était latent devient manifeste, ce qui était tu peut être dit. C'est comme si ces métaphores produites inconsciemment, ou intuitivement si on préfère, provoquaient un changement radical dans la manière habituelle de communiquer dans la famille.
Ce processus de métaphorisation, au cours duquel une médiation, un passage s'opère entre le contenu symbolique du symptôme et le code du langage commun de la famille, peut être provoqué par le dessin d'un enfant (c'est le cas du dessin de Clémence), l'évocation d'une histoire (le film " Madame Doubfire " pour Clémence), un souvenir (les grandes tablées de la mère de Lola) ou la réaction inattendue, imprévisible dirait AUSLOOS(1), du psychologue, ses résonances dirait Mony ELKAÏM(4) (agrafer le dessin de Théo ou choisir une chemise pour ranger le dessin de Clémence à l'intention de sa mère).
Comment la métaphore peut-elle permettre des prises de conscience qui ne pouvaient se faire, permettre un langage qui nous apparaît alors comme clairement compréhensible, un langage qui va appartenir à tous ?
Parce que la métaphore crée une " zone commune ", ainsi nommée par Maurice BERGER(2), un " champ transitionnel ", un pont entre le processus ayant mené au symptôme et le langage commun, entre le sujet porteur du malaise et les autres membres de la famille, entre le psychologue et la famille dans son ensemble.
C'est en cela que réside sa grande utilité et ses effets durables. Bien plus pertinente que le questionnement stérile des entretiens anamnestiques au cours desquels aucun " objet " métaphorique ne peut venir s'infiltrer dans un cadre préétabli par la grille du clinicien centré sur sa propre compréhension du problème.
Comprendre ne sert à rien, souligne AUSLOOS(1), il faut activer le processus, permettre que l'imprévisible surgisse, ouvrant ainsi de nouvelles perspectives à des familles figées dans le temps arrêté d'un problème circonscrit dans l'enfant. Bien sûr que nous avons compris le sens du symptôme, des fois rien qu'à voir comment chacun se présente au rendez-vous ou même comment le rendez-vous est pris, et cela bien avant que la famille en ait la moindre idée. Livrer ce que nous avons compris par exemple sous la forme d'interprétation ou plus insidieusement sous forme de conseil, ne peut que provoquer une brusque augmentation de la tension, voire un refus défensif fort légitime.
Le fait de déplacer la discussion à un niveau imaginaire à partir d'une proposition métaphorique permet alors l'élaboration d'un contenu nouveau ouvrant des perspectives jusque là inenvisageables ou appréhendées de manière confuse. L'exploration collective qui suivra, à travers le code commun ouvert par la métaphore, permettra à la famille d'aller au delà du cadre étroit qui délimitait le symptôme avec son cortège de culpabilité.
Le langage du symptôme qui avait suscité l'entretien avec le psychologue se trouve substitué par un processus de symbolisation redéfinissant le contexte en y introduisant des données qui dépassent le liens de causalité culpabilisants pour s'ouvrir à une dimension transgénérationnelle génératrice de changements et éviter une intellectualisation stérile favorable aux rationalisations. Il est plus facile alors de parler de soi même dans ce nouveau contexte où la redéfinition des rôles se fait naturellement grâce à l'empreinte laissée par le processus métaphorique.
Bibliographie
1. AUSLOOS G. La compétence des familles , Erès, 1995
2. BERGER M. Le travail thérapeutique avec la famille, Dunod, 1995
3. BLEJER J. Psychanalyse du cadre psychanalytique ; pp 283-299 In : Symbiose et ambiguïté, Paris, PUF, collection " Le fil rouge ", 1981
4. ELKAIM M. Avant propos In : BLANCHARD et Coll. Echec scolaire, ESF, 1994
5. NICOLÓ CORIGLIANO A.M, L'emploi de la métaphore en thérapie familiale In : ACKERMAN et Coll. La création du système thérapeutique, Paris, ESF, 1987
6. SANCHEZ-CARDENAS M. La place des parents dans la consultation pédopsychiatrique, Paris, MASSON, 1994
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