L'usage de la métaphore dans l'entretien familial

 


La PsychoCité d'Eric...


par Dominique GUICHARD

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Introduction

 

Dans notre métier de psychologue à l’école, nous sommes souvent sollicités, probablement sur les conseils d’un enseignant, pour des petits problèmes de la vie quotidienne ne regardant pas nécessairement la vie scolaire et encore moins le psychologue y œuvrant.

La plupart du temps c’est à l’école maternelle que des mamans inquiètes interrogent les institutrices à propos de difficultés de sommeil, de troubles de l’alimentation, voire de relations conflictuelles parents/enfants alors que ce dernier ne se fait pas plus remarquer que les autres en classe ou en cour de récréation.

Certaines vont répondre à ces demandes de conseils, ne sachant pas alors qu’elles renforcent l’attitude infantile d’une mère demandant à sa propre mère (personnalisée ici par l’institutrice) comment élever son enfant.

D’autres, pressentant probablement la nécessaire professionnalisation d’une telle réponse, vont donner notre numéro de téléphone ou notre jour de permanence. Le rendez-vous est alors pris et nous recevons la famille souvent réduite à la mère et l’enfant.

Dans certains cas, cependant, il peut s'agir de réelles difficultés d'intégration scolaire (indiscipline, fugues…), mais on remarque alors que l'enfant réussit scolairement. Ce qui nous met dans l'embarras car notre mission est bien de permettre aux élèves la réussite scolaire. Il s'agit plus alors d'un certain mal être identifié par l 'enseignant qui nous adresse la famille qui n'attend que cela.

Si on se donne la peine d’écouter ce que parents et enfants ont à dire, on se rend compte que ces situations, banales dans leur présentation initiale, révèlent souvent des problématiques plus profondes.

SANCHEZ-CARDENAS(6), citantBLEJER(3), nous fait bien comprendre de " deux éléments sont à considérer : " d'une part il y a le " relief " : c'est le symptôme pour lequel a lieu la consultation ; d'autre part, invisible au premier abord, le " fond " : c'est la symbiose inter-individuelle dont la famille est porteuse ".

Ce problème sous-jacent(le fond), l’enfant et les parents n’en ont peut-être pas conscience en tant que tel au départ, mais ils en ont probablement l’intuition (inconsciente) puisqu’ils prennent un rendez-vous avec un psychologue.

C’est comme si la famille venait faire le point sur quelque chose d’indéfinissable pour elle et ne pouvant s’élaborer que sous couvert de cette banalisation.

Dans ce cas, quelle aide fournir aux parents ? A l'enfant ?

En effet, au cours de l’entretien, chemin faisant, on va découvrir en même temps qu’eux que les difficultés de l’enfant qui ont motivé cette rencontre se rattachent à l’histoire des parents et même à l’histoire de la famille élargie dans sa dimension transgénérationnelle.

Quel peut être alors notre rôle face à cette demande qui s’affirme au fil du temps de l’entretien ?

Restons-nous dans le cadre de notre mission de psychologue scolaire dont l'une des actions est définie comme le " suivi " psychologique ou " glissons " nous imperceptiblement dans un cadre de soin qui ne nous concerne pas ? Je rappelle ici que le " suivi " psychologique tel qu'il est défini par les textes officiels (BO n°16-19 avril 1990) a pour objet, pour ce qui concerne les adultes, de rechercher conjointement l'ajustement des conduites et des comportement éducatifs.

Je voudrais évoquer trois situations, trois histoires, qui se sont présentées ainsi , vous laissant imaginer ce que vous auriez pu faire ou proposer dans de tels cas.

 

Lola

ou

" Ce que rester à table veut dire "

 

Sont présents à l’entretien Lola 4 ans, sa sœur Marine3 ans et leur mère.

Psy : Qu’est ce qui vous amène ?

Mère : Un comportement qui m’inquiète. Lola mange, mais découpe sa nourriture en tout petits bouts. Je l’ai mise une fois à la cantine, elle n’a rien mangé. Un morceau de pain. Elle ne veut pas goûter. Elle ne mange pas de viande, pas de légumes. Elle ne mangerait que du pain et du beurre. Elle ne veut pas goûter . Elle ne goûte pas. Elle dit " je mangerai quand je serai grande ". Je l’ai déjà envoyée voir un pédopsychiatre. Il m’a dit que tout allait bien.

Psy : Vous, vous pensez que ça ne va pas ?

Mère : Comme par hasard, ce matin, elle a bien mangé.

Psy : Quoi ?

Lola : Du poisson.

Mère : Elle mange toujours la même chose : poisson en bâtonné ou un petit bout de jambon. Qu’est-ce que tu aimes aussi Lola ?

Lola : Du riz.

Mère : Sans rien dessus.

Psy : Pas de mélange !

Mère : Par contre elle a mélangé son poisson et sa semoule à midi. Ce qu’elle fait jamais.

Psy : Et vous, quand vous étiez petite ?

Mère : J’étais boulotte, je mangeais bien. J’étais la plus petite et la plus ronde. Un peu comme Marine. On m’appelait " la grosse " ou " pot à tabac ".

Psy : Qui ?

Mère : Mes frères et sœurs.

Psy : Vous avez beaucoup perdu (la mère est mince).

Mère : J’ai changé.

Psy : Là, qu’est-ce qui vous chiffonne le plus ? Je ne saisis pas très bien.

Mère : Parce que les repas, j’aimerais que ce soit convivial. Elle est jamais là (à table). Elle se lève. Elle est jamais là. C’est pas le fait de ne pas manger. C’est le fait de ne pas partager ce moment là.

Psy : Où vous vous retrouvez tous ensemble.

Mère : Dès fois le papa est avec nous.

Marine : Papa s’appelle …

Lola : Jean-Pierre

Marine : Maman s’appelle Martine.

Psy : Comme dans votre enfance ?

Mère : Je me rappelle même pas. On discutait même pas. On restait à table. Nous, c’était des grandes tablées : 10, 12 à table. C’était des bons moments. Ma mère gardait des enfants.

Psy : Vous en avez la nostalgie ?

Mère : Je suis peut-être vieux jeu. Même par rapport à mes sœurs. Elles me disent " laisse là donc ! ". Moi je peux pas.

Psy : Vous ne retrouvez pas ça dans votre foyer ?

Mère : J’aime les grandes tablées, avec cousins, cousines. Moi, j’aime bien les moments à table. Lola doit être là.

Psy : Pourquoi elle serait pas là ?

Mère : Lola va chez son père, Marine va chez Jean-Pierre et Jean-Pierre vient à la maison.

Psy : Vous vivez avec qui ?

Mère : Je suis avec personne. On a deux appartements. Le soir on va chez lui.

Psy : Qui ?

Lola : Jean-Pierre, mon papa.

Mère : Elle voudrait être tout le temps là-bas.

 

Génogramme

 

 

 

Psy : Ca ne favorise pas les grandes tablées familiales.

Mère : Mais à nous trois on peut faire une tablée.

Psy : Constituer une famille à vous trois ?

Mère : Honnêtement, j’aime pas trop en parler aux enfants. Il n’y a pas trop de demande de leur part. Le problème, c’est que lorsque Jean vient chercher Lola, elle ne veut pas y aller. Elle se cache sous la table.

 

 

 

Clémence

ou

" Chacun fait son propre deuil. "

 

 

Psy : Qu’est ce qui vous amène ?

Mère : Ce qui s’est passé c’est que après les vacances de Noël, l’institutrice à remarqué un changement de comportement, qui est devenu agressif envers les autres. Nous aussi on s’était rendu compte. Comme la maîtresse nous a fait venir…Il y a pas mal de choses qui se sont passées. On a emménagé dans cette ville en septembre. Et c’est au niveau d’événements qui ont pu la perturber. Elle avait un petit frère de 3 ans décédé d’une leucémie.

Psy : Quand cela ?

Mère : Il y a un an et demi, en décembre. Ca a été une épreuve pour la famille. Elle ne trouve pas à l’école d’autres à qui en parler. Personne ne connaît son histoire. Dans son milieu scolaire précédent, elle a eu l’occasion d’en parler. C’est peut-être ce qui fait sa petite agressivité. Elle en veut peut-être aux autres. Elle fait de beaux dessins. Montre au psychologue le dessin que tu as fait hier !

 

Mère : C’est peut-être difficile d’en parler. Et en plus il y a un bébé qui arrive aussi au mois de mai.

(Clémence est prise d’un accès de tics)

On revit des choses.

Mère : D’autre part, une chose dont m’avait parlé l’institutrice, par rapport à sa taille. C’est une crevette. Elle est pas grande. Au niveau de la famille on est pas grands. Je ne suis pas très grande et c’est pareil Du côté de son papa. On a pas un gabarit. Elle ne sera pas immense. En maternelle c’était une petite poupée qu’on chouchoutait un peu . En primaire, c’est plus les enfants entre eux. La maîtresse nous en a parlé. Elle était un petit peu touchée par ça.

Clem : On me disait t’es grande comme un pouce, une fourmi.

Mère : On lui a dit qu’elle a une croissance normale. En plus elle est de la fin de l’année, elle est née un 25 décembre. L’institutrice nous a dit de la rassurer.

Par rapport au décès de Théo, on avait eu un contact avec un psychologue. Il lui avait fait faire des dessins. On était revenus une fois avec mon mari. Il avait dit s’il y a besoin…Quand on en parle, ça fait resurgir la peine. Les enfants ont tendance à vouloir ne pas créer la peine. J’ai essayé d’en parler régulièrement. Théo fait partie de notre vie. Pas quelque chose de négatif. Quand on l’évoque, c’est du souvenir.

Psy : Quand as-tu fait ce dessin ?

Clem : Je l’ai fait hier.

Psy : Tu en fais souvent ?

Clem : J’adore dessiner.

Mère : Tu avais fait un poème aussi, un poème sur la maladie, la leucémie, que c’est une maladie grave, que ton frère est mort subitement, qu’on a pas eu le temps de le sauver. C’est une maladie qui te fait peur ?

Clem : Oui, j’aurais pas aimé être à sa place. Je lui avais dit plein de choses méchantes avant qu’il soit mort. J’avais fait des dessins pour lui et je lui avais dit " si tu m’embêtes encore, j’arrache tous les dessins ".

Psy : Celui que tu as apporté, il est pour qui ?

Clem : Il était pour lui.

Psy : Qu’est-ce que tu vas en faire ?

Clem : Je vais le garder, l’accrocher à mon mur. Sinon c’est dans le couloir.

Mère : Dans ta chambre il y a plein de photos de Théo.

(Le psychologue prend le dessin, le plie en deux et l’agrafe, sans trop savoir pourquoi il fait cela, intuitivement.)

Clem : Je veux faire un dessin.

(Pendant que l’entretien se poursuit, Clémence dessine un coucher de soleil.)

Psy : Vous avez parlé de son frère à l’institutrice ?

Mère : On en avait pas parlé, mais elle m’a dit " je suis au courant pour Théo parce que Clémence m’en a parlé. Autrement, au point de vue scolaire , la maîtresse nous a dit que c’était très bien. Simplement un peu moins attentive. Elle ne termine pas son travail. Elle a constaté un petit relâchement. Elle est moins concentrée.

Clem: De toute façon vous allez voir une autre fille de ma classe, parce qu’elle est lente, comme moi. Elle répond à la maîtresse et elle ne va plus avoir de copines. Elle crie sur les autres.

Mère : L’incident de la taille, la classe doit aller au Futuroscope et les autres disent : " ah Clémence, tu vas peut-être pas pouvoir venir ! ".

Clem : Donne (le dessin). Pourquoi tu as agrafé le dessin ?

Psy : pour le fermer.

Clem : Pourquoi ?

Psy : Parce que c’est comme la vie de Théo.

Et l’autre, qu’est-ce qu’on en fait ?

 

Clem : C’est pour Maman.

Psy : Je vais le mettre dans une chemise.

Quelle est la couleur préférée de ta maman ?

Clem : Bleu.

Mère : C’est ta couleur préférée. C’est pas la mienne. Mais le bleu ça va.

Psy : Quelle est votre couleur préférée ?

Mère : Rouge.

Psy : Je vais le mettre dans une chemise rouge.

(Clémence écrit sur la chemise : " pour maman, je t’© aime beaucoup ".)

Clem : Et quelle est la couleur préférée de Papa ?

Psy : Au fait, où est ton père ?

Clem : Je l’appelle Jacques.

Mère : Quand il y avait Théo, c’était papa. Ca avait changé un petit peu. Clémence, son papa c’est Xavier.

 

 

 

 

 

 

Clem : Mon papa là il est à Biarritz.

Mère : Elle le voit pas souvent. Pas assez souvent.

Clem : J’étais allée avec lui en vacances ; On avait fait des sauts dans l’eau.

Mère : Du rafting.

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Psy : Tu avais aimé ça ?

Clem : Adoré ça. Mon papa avait sauté d’un pont.

Mère : Les sports de l’extrême. Clémence a pris la fibre. C’est des choses que vous avez en commun. C’est quelque chose qu’elle aime, moi j’aime pas le sport, je suis une trouillarde.

Clem : Mon papa il a aimé 3 Sylvie, maman c’était la première. Maintenant il aime une Christine.

Psy : Pourquoi ils ont divorcé ?

Clem : Mon papa était en train de rouler sur la route, un camion est passé, il avait la main dehors, sur la voiture, le camion lui a arraché les doigts. Il avait plus que le pouce. Il avait plus de travail. Il était serveur dans un bar. Maman devait payer tout, c’était dur pour elle. Maman regardait des photos, il sortait avec une autre. Elle en avait marre, elle a divorcé.

Psy : C’était pas un bon mari ?

Clem : Oui… Je l’aime quand même.

Psy : C’était pas ton mari !

Clem : Mon papa… Je sais pas si vous connaissez " Madame Doubfire " ?

Le papa, c’est un peu comme ça, il aime bien s’amuser comme les enfants.

Mère : Oui, c’est tout à fait ça.

Psy : C’est ce que lui reproche sa femme dans le film. Mais le père et les enfants sont très malheureux d’être séparés.

Mère : Ce que je me demandais, c’est par rapport à tout ce qu’on a vécu dans la famille, est-ce qu’elle a besoin d’un contact avec un psychologue ?

 

 

Sophie

ou

" Chacun fait sa propre recherche. "

 

La mère de Sophie appelle le psychologue scolaire. Sa fille, qui a 9 ans et est au Cours Elémentaire 2ème année, ne veut plus aller à l’école. Elle s’est sauvée ce matin et est arrivée derrière sa mère en courant lorsque celle-ci arrivait à son domicile.

Sophie se plaint souvent d’avoir mal au ventre, sa mère ayant dû aller la rechercher à l’école à plusieurs reprises.

La maman dit que Sophie n’a jamais aimé l’école, pourtant elle a toujours eu des instits sympas. Mais elle n’aime pas ça.

 

 

Psy : Pourquoi tu viens me voir ce matin ?

Sophie : …

Psy : Tu ne sais pas ?

Sophie : (haussement d’épaules)

Psy : Si on t’amène me voir, c’est qu’il y a un problème.

Sophie : …

Psy : Comment on peut le définir ?

Mère : Elle pleure pour aller à l’école. le dimanche elle commence à s’angoisser, elle ne mange pas parce qu’il y a école le lendemain.

Psy : C’est cela ?

Sophie : (fait oui de la tête)

Psy : Quand tu penses à l’école le dimanche, à quoi penses-tu précisément ?

Sophie : …

Psy : Qu’est-ce qui te fait peur comme ça ?

Sophie : Les élèves.

Psy : Tous ?

Sophie : Non .

Psy : Lesquels ?

Sophie : …Un groupe de filles.

Psy : Qu’est-ce qu’elles font ?

Sophie : Quand je suis à la cantine, elles me balancent des trucs dans mon assiette.Elles parlent entre elles des fois et elles me regardent. Et aussi elles se moquent de moi parce que j’ai un chapeau à oreilles.

Psy : Tu l’as ici ?

Sophie : Oui.

Psy : Montre !

Mère : Sophie, aussi, elles disent que t’es un garçon.

Sophie : Elles disent que je suis un garçon.

Psy : Tu aimes bien mettre ce chapeau ?

Sophie : C’est pratique.

Psy : Tu l’aimes bien ?

Sophie : Oui.

Mère : C’est elle qui l’a choisi.

Psy : Et ton papa, qu’est-ce qu’il en dit ?

Sophie : Il est parti.

Psy : Où ?

Sophie : A la montagne. Il habite à la montagne.

Psy : Depuis longtemps ?

Mère : Tu as quel âge ?

Sophie : 8 ans.

Mère : 8ans. On a jamais vécu ensemble.

Psy : Tu le connais ?

Sophie : Oui.

Psy : Quand est-ce que tu l’as vu pour la dernière fois ?

Sophie : Il y a pas longtemps. Pendant les grandes vacances.

Mère : Au mois d’août.

Psy : Tu aimes bien aller chez lui ?

Sophie : J’aime bien aller chez lui.

Psy : Et lui ? Il aime que tu viennes le voir ?

Sophie : Je sais pas trop parce que j’y vais pas souvent. J’y suis allé qu’une fois.

Psy : Comment ça ?

Mère : Sophie en parlait de plus en plus. Alors j’ai repris contact pour aller le voir, pour qu’elle le connaisse.

Psy : Comment ça s’est passé ?

Mère : Bien, mais Sophie, il ne t’as pas présentée à tout le monde comme sa fille.

Psy : Ca vous embête qu’on parle de ça ?

Mère : Non. Au contraire. L’école, c’est peut-être ça.

Psy : Qu’est-ce qu’il a dit aux autres ?

Sophie : Il m’a juste présentée comme ça, comme si on était des copains.

Psy : Elle vous en parlait depuis longtemps ?

Mère : A moi non. Mais à sa tante, à mes copines.

Psy : Comment il a pris ça ?

Mère : Il a réfléchi. Il était pas trop attiré par les enfants. Je lui en ai parlé, montré des photos et apparemment il est plus attiré par les enfants de cet âge que par les bébés. Ca s’est bien passé. Mis à part le fait qu’il n’a pas dit que c’était sa fille. Elle a du mal à le digérer.

Psy : Qu’est-ce qu’il faudrait pour qu’il puisse la présenter comme sa fille.

Mère : Qu’il la reconnaisse.

Sophie : Qu’est-ce que ça veut dire ?

Mère : Qu’il aille à la mairie et donne son nom. Un moment il a hésité à la reconnaître. Il est parti. Alors j’ai fait une reconnaissance anticipée, on avait parlé d’IVG. Il y a d’autres histoires dans la famille. Je veux pas en parler. Il y a eu des faits dans ma famille, il a pu se sentir jugé.

Psy : Vous voulez dire qu’il a fuit ?

Mère : Parce qu’il avait peur des responsabilités. Pas parce que j’allais accoucher d’un monstre. Tu sais, un homme…

Sophie : Je suis pas un monstre.

Mère : Non. Seulement, il aurait pu la reconnaître. Pour l’élever à deux. Comme père oui, mais pas vivre avec lui.

Psy : Alors, quand tu es arrivée à l’école et que tu es retournée à la maison sur les talons de maman, qu’est-ce qui t’as pris ?

Sophie : Je l’avais pas vue souvent.

Psy : Qui ?

Sophie : Ma mère.

Psy : Comment ça se fait ?

Mère : Je suis infirmière. C’est une amie qui la garde à la maison pendant 4 jours.

Sophie : Tu es déjà partie 5 jours.

Mère : C’est rare. C’est vrai que quand je pars, elle est malheureuse. Après ça se passe assez bien. Pendant les 4 jours on se téléphone. Après j’ai plein de jours de repos.

Notre relation est fusionnelle. Elle est collée, collée. Elle a des angoisses de mort. Si je suis pas là, elle a peur que je meure. Je pars un peu, je me dis que ça y fait pas de mal.

Psy : Vous pensez qu’il faut faire quelque chose par rapport à ça ?

Mère : Oui. Elle souffre. Elle se rend malheureuse et elle ne peut pas profiter de l’innocence de l’enfance. Elle me demande si à son âge je me demandais ce que j’allais faire de ma vie. Et elle se dévalorise aussi . Alors que pour son maître, elle est dans les 2 premières de la classe.

Psy : Vous avez pensé à aller voir un psychologue en ville ?

Mère : Oui , une thérapie familiale ou un pédopsychiatre. Comme à l’école on m’a proposé de voir le psychologue scolaire. Mais je savais qu’il y avait d’autres problèmes . Pour moi, je sais pas comment faire. Est-ce qu’il faut être ferme ? Des gens disent qu’elle est gâtée, qu’elle ramasse pas assez de calottes. J’en ai ramassé plein étant jeune. Mais c’est pas une raison. Je veux pas être ferme, mais je veux pas qu’elle souffre. Je lui ai dit : " s’il y avait une fée, qu’est-ce que tu lui demanderais ? "

Psy : Oui, quoi ?

Sophie : 1-Revoir ma copine qui a déménagé.

2-Un chien.

3-Une nouvelle maison, à la campagne.

Mère : Oui. C’est ce qu’elle m’a répondu.

Qu’est-ce que vous en pensez ?

Psy : Qu’elle se sent seule.

Est-ce que vous pensez que c’est utile qu’on se revoie ?

Mère : Je le souhaite.

 

 

 

Commentaires

L'usage de la métaphore, si bien décrit par ANDOLFI et Coll.(5), n'est pas du sel apanage du thérapeute. Il peut être un moyen d'aider la famille à comprendre le sens du problème qui l'amène à nous consulter, si l'on s'efforce de le décoder, qu'il soit proposé par la famille elle-même et en particulier au travers des activités créatrices des enfants au cours de l'entretien familial, ou si le psychologue sait " jouer ", de manière intuitive, de ses propres résonances personnelles. Si l'on considère les entretiens familiaux organisés dans le cadre du " suivi " psychologique comme un processus de recodification commune effectuée par le psychologue à l'intérieur du système familial, c'est dans cet espace transitionnel, cet espace de médiation entre le sujet porteur du malaise et la famille dans son ensemble, entre signifiant et signifié, tant au niveau de l'individu qu'au niveau groupal, que l'occasion est donnée de créer un nouveau code dans le groupe familial où la métaphore pourra prendre la place du symptôme de l'enfant et permettre au signifiant, mais aussi au signifié particulier de chacun, de trouver sa place.

 

 

Le processus de métaphorisation

Au cours d'un entretien familial nous sommes souvent amenés à écouter ou être sollicités à utiliser un langage particulier avec les expressions, des représentations, des images métaphoriques.

Chaque fois que cela se produit, comme le souligne NICOLÓ CORIGLIANO(5), toute la famille se mobilise et tout ce qui était alors éparse se rassemble et prend sens. Ce qui était sous-entendu devient plus clair. Ce qui était latent devient manifeste, ce qui était tu peut être dit. C'est comme si ces métaphores produites inconsciemment, ou intuitivement si on préfère, provoquaient un changement radical dans la manière habituelle de communiquer dans la famille.

Ce processus de métaphorisation, au cours duquel une médiation, un passage s'opère entre le contenu symbolique du symptôme et le code du langage commun de la famille, peut être provoqué par le dessin d'un enfant (c'est le cas du dessin de Clémence), l'évocation d'une histoire (le film " Madame Doubfire " pour Clémence), un souvenir (les grandes tablées de la mère de Lola) ou la réaction inattendue, imprévisible dirait AUSLOOS(1), du psychologue, ses résonances dirait Mony ELKAÏM(4) (agrafer le dessin de Théo ou choisir une chemise pour ranger le dessin de Clémence à l'intention de sa mère).

Comment la métaphore peut-elle permettre des prises de conscience qui ne pouvaient se faire, permettre un langage qui nous apparaît alors comme clairement compréhensible, un langage qui va appartenir à tous ?

Parce que la métaphore crée une " zone commune ", ainsi nommée par Maurice BERGER(2), un " champ transitionnel ", un pont entre le processus ayant mené au symptôme et le langage commun, entre le sujet porteur du malaise et les autres membres de la famille, entre le psychologue et la famille dans son ensemble.

C'est en cela que réside sa grande utilité et ses effets durables. Bien plus pertinente que le questionnement stérile des entretiens anamnestiques au cours desquels aucun " objet " métaphorique ne peut venir s'infiltrer dans un cadre préétabli par la grille du clinicien centré sur sa propre compréhension du problème.

Comprendre ne sert à rien, souligne AUSLOOS(1), il faut activer le processus, permettre que l'imprévisible surgisse, ouvrant ainsi de nouvelles perspectives à des familles figées dans le temps arrêté d'un problème circonscrit dans l'enfant. Bien sûr que nous avons compris le sens du symptôme, des fois rien qu'à voir comment chacun se présente au rendez-vous ou même comment le rendez-vous est pris, et cela bien avant que la famille en ait la moindre idée. Livrer ce que nous avons compris par exemple sous la forme d'interprétation ou plus insidieusement sous forme de conseil, ne peut que provoquer une brusque augmentation de la tension, voire un refus défensif fort légitime.

Le fait de déplacer la discussion à un niveau imaginaire à partir d'une proposition métaphorique permet alors l'élaboration d'un contenu nouveau ouvrant des perspectives jusque là inenvisageables ou appréhendées de manière confuse. L'exploration collective qui suivra, à travers le code commun ouvert par la métaphore, permettra à la famille d'aller au delà du cadre étroit qui délimitait le symptôme avec son cortège de culpabilité.

Le langage du symptôme qui avait suscité l'entretien avec le psychologue se trouve substitué par un processus de symbolisation redéfinissant le contexte en y introduisant des données qui dépassent le liens de causalité culpabilisants pour s'ouvrir à une dimension transgénérationnelle génératrice de changements et éviter une intellectualisation stérile favorable aux rationalisations. Il est plus facile alors de parler de soi même dans ce nouveau contexte où la redéfinition des rôles se fait naturellement grâce à l'empreinte laissée par le processus métaphorique.

 

 

Bibliographie

1. AUSLOOS G. La compétence des familles , Erès, 1995

2. BERGER M. Le travail thérapeutique avec la famille, Dunod, 1995

3. BLEJER J. Psychanalyse du cadre psychanalytique ; pp 283-299 In : Symbiose et ambiguïté, Paris, PUF, collection " Le fil rouge ", 1981

4. ELKAIM M. Avant propos In : BLANCHARD et Coll. Echec scolaire, ESF, 1994

5. NICOLÓ CORIGLIANO A.M, L'emploi de la métaphore en thérapie familiale In : ACKERMAN et Coll. La création du système thérapeutique, Paris, ESF, 1987

6. SANCHEZ-CARDENAS M. La place des parents dans la consultation pédopsychiatrique, Paris, MASSON, 1994

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