LE

SUIVI PSYCHOLOGIQUE

À L'ECOLE


La PsychoCité d'Eric..


par Dominique GUICHARD

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Comme le précisent les textes en vigueur (Circulaire n° 90-083 du 10 avril 1990), une des missions du psychologue en milieu scolaire consiste en des actions en faveur des enfants en difficulté. Elles visent à fournir des éléments d'information résultant de l'analyse des difficultés de l'enfant, à proposer des formes d'aides adaptées, à favoriser leur mise en œuvre.
Le " suivi " psychologique entre dans ce cadre. Il consiste, pour le psychologue scolaire, à organiser des entretiens avec les enfants concernés, et éventuellement avec leur maître ou leurs parents.
Il a pour objet :
- pour ce qui concerne les adultes, de rechercher conjointement l'ajustement des conduites et des comportements éducatifs ;
- pour ce qui concerne les enfants, de favoriser l'émergence et la réalisation du désir d'apprendre et de réussir. Pour tenter d'élaborer une méthodologie du " suivi " psychologique, il est intéressant préalablement de faire la différence entre difficultés et problème, terme qui n'est pas employé dans les textes officiels, mais qui mérite toute notre attention.


Difficultés et problème

La difficulté est une situation banale que rencontre tout enfant confronté aux apprentissages et à la vie en société. La plupart du temps elle est dépassée par l'effet du temps donné à l'enfant ou d'interventions appropriées. Même si certains enfants ont plus de difficultés que d'autres compte tenu de leur environnement ou de leur histoire personnelle et familiale. Mais leurs difficultés ne prendront pas de sens particulier ou gênant, voire pathologique si quelque chose ne s'engage pas sous la forme d'un processus qui va transformer celles-ci en un véritable problème, c'est-à-dire une situation inextricable dans laquelle l'enfant reste englué et pour laquelle l'intervention des adultes semble inefficace, voire aggravante.

 

 

Le processus qui mène de la difficulté au problème

Pour certains enfants donc, des difficultés qui devraient être passagères, se révèlent durables et peuvent se transformer en de véritables problèmes insolubles où l'enfant reste figé dans des situations inextricables. .En effet, une difficulté banale de l'enfant peut être sélectionnée par l'entourage (un parent, les parents, l'enseignant ou même l'école dans son ensemble) du fait de résonances qu'elle provoque chez les adultes concernés.

Guy AUSLOOS prend l'exemple d'une mère qui s'inquiète pour son enfant au moment du début de l'acquisition du langage, parce que le père est bègue et l'enfant, comme tout enfant de cet âge, cherche ses mots, son envie de parler dépassant ses capacités lexicales. L'enfant va alors ressentir l'anxiété de sa mère chaque fois qu'il va essayer de lui parler et créer chez lui une véritable peur de s'exprimer verbalement. Et celle-ci va croire que son enfant est en train de devenir bègue, comme son père.
On voit dans cette situation que les résonances déclenchées chez la mère par le comportement banal de son enfant vont induire des réactions, des réponses inadéquates de sa part et engager le processus de cristallisation des difficultés.

Nous pourrions prendre plein d'exemples de ces phénomènes de résonance. Ce peut être un parent qui revit ses propres difficultés scolaires passées et s'en trouve émotionnellement à tel point submergé qu'il va réagir de manière inappropriée ou tout du moins peu sereine, souvent dans un contexte d'accusations mutuelles d'incompétence avec l'enseignant de la classe. Mais ce peut être aussi l'école qui va mal prendre en compte les difficultés d'un enfant parce qu'un frère ou une sœur s'est trouvé en échec de la même façon. Ce peut être aussi l'institutrice de petite section de maternelle qui accueille un peu " brutalement " un enfant ayant du mal à quitter sa mère ou plutôt l'inverse, une mère qui a du mal à quitter son enfant. Cependant, à tous les coups, les difficultés de cet enfant à s'intégrer à l'école seront mises sur le compte de la problématique de séparation mère/enfant et rarement sur l'agacement de la maîtresse, ou sa brusquerie. La résonance , bien sûr, se situe d'abord chez la mère qui revit à travers son enfant une problématique de séparation qui lui est propre. Mais qu'en est-il de la résonance chez l'enseignant ? La maîtresse n'est-elle pas agacée de voir cette mère collée à son enfant parce qu'elle même a été confrontée à ce problème ou que cela lui a manqué ? A l'école, on a tendance à privilégier la prise en considération de la problématique familiale dans l'émergence d'un problème dans le cadre scolaire. L'histoire de l'enseignant, sa façon d'agir ou de réagir est la plupart du temps négligée dans la mise en œuvre d'une intervention visant à la résolution des problèmes identifiés à l'école, même si elle est évidente, voire criante ou bruyante.

Lorsque la difficulté a été sélectionnée, celle-ci va se répéter jusqu'à se cristalliser dans un comportement auquel l'enfant va s'identifier. Véritable carte d'identité où la difficulté de départ devient un état qualifiant l'enfant. Il peut être alors : instable, immature, violent, inhibé, agressif, paresseux, lent, passif, rêveur, dyslexique, etc.. Tous ces termes situent la difficulté dans l'enfant, comme inscrite dans son caractère ou sa personnalité. C'est dans ce temps du processus, entre sélection et amplification/cristallisation que l'intervention de l'école est déterminante. Car elle va pouvoir être amplificatrice de la difficulté par une réaction inappropriée ou au contraire réductrice par une prise en compte ajustée et sereine ou tout du moins distanciée de cette même difficulté par rapport aux résonances inévitables.
Le processus peut aboutir à une véritable pathologisation de la difficulté. Nous serons alors en présence d'un véritable problème, c'est-à-dire que la difficulté initiale mal prise en compte par la famille et/ou par l'école, commence à devenir une habitude et l'enfant se sent de plus en plus mal. Il développe un comportement réactionnel plus ou moins toléré par l'entourage familial et par l'école. Ces comportements, véritables crises familiales ou institutionnelles seront autant de signes d'appel au changement et à l'inversion du processus.

 

Qu'est-ce qu'une aide à l'école dans cette perspective ?

L'école, nous l'avons dit, situe le problème dans l'enfant, la plupart du temps sous forme d'état le qualifiant. Si l'école a sa part dans le processus qui fait que des difficultés initiales d'un enfant sont devenues un véritable problème pour lui et pour l'institution ; pour parler trivialement, si un enfant a des difficultés et que l'école " en rajoute " ; généralement elle n'en convient pas.
Si elle demande une aide pour celui-ci, ce sera une aide centrée sur l'enfant lui-même ou sur sa famille, une aide visant à compenser, modifier, corriger, voire soigner le problème de l'enfant. Généralement il est attendu du psychologue une confirmation du diagnostic préétabli par l'enseignant ou l'équipe pédagogique. Il est rarement demandé de chercher un sens au problème ou de mettre en lumière un processus et la part de l'école dans celui-ci.
Il s'agit donc, pour nous, de prendre en considération le rôle que l'école a pu jouer dans le processus de sélection/amplification/cristallisation des difficultés, et cela à contre courant du point de vue, voire de la réalité du demandeur (du référent) c'est-à-dire l'école elle-même.
Mais comment faire ?

 

Les entretiens

Avant toute intervention ou observation d'un enfant en difficultés à l'école nécessitant une recherche du sens de ses difficultés, nous devons le rencontrer avec sa famille. Au moins avec ses parents et pourquoi pas sa fratrie, ce qui est assez aisé dans notre contexte professionnel puisque souvent des frères et des sœurs sont scolarisés dans la même école ou le même groupe scolaire.
On comprendra facilement que lorsqu'un enfant est en difficultés à l'école, tous les membres de la famille sont concernés par le problème et peut-être impliqués à des titres divers. Et c'est au travers des réactions des parents et des enfants (pour cela, la fratrie a un rôle très dynamisant) que le problème va prendre sens dans les différents contextes, familial et scolaire.
Cependant, il peut nous arriver de faire " censure " à l'émergence du processus impliquant l'école. Entendre " dire du mal " de l'école ou critiquer l'enseignant nous touche personnellement car nous faisons partie de l'école et avons été des enseignants. En tout cas, nous faisons partie de la famille. Nous sommes issus de la même matrice et faisons partie du même " corps ". Nos dettes de loyauté sont alors fortement sollicitées, nous rendant sourds à ce qui apparaîtrait comme des évidences à des professionnels extérieurs à l'institution. C'est d'ailleurs valable pour toutes les institutions. L'école n'est pas pire qu'une autre, mais elle n'est pas exempte non plus de ces symptômes dysfonctionnels. On peut en effet parler de symptômes si on se réfère à la définition qu'en donne J-A MALAREWICZ, c'est-à-dire d'un (mauvais) compromis entre une loyauté invivable et une trahison impossible. La loyauté est ce qui nous impose des modèles d'interaction, comme par exemple nous soutenir entre " collègues " quand on est en difficulté, faire " corps ", nous défendre les uns les autres quoi qu'il arrive. La trahison correspond, elle, au rejet de ces mêmes modèles d'interaction, soit de manière spontanée, soit dans le contexte de la mise en place du cadre d'une intervention du psychologue scolaire ou de quelqu'un d'autre dans l'école. Si l'école a sa part dans le processus qui transforme les difficultés en problèmes, mais n'en convient pas, notre rôle sera alors de faire émerger la dimension relationnelle du problème et d'identifier la part de l'école dans cette relation. Ensuite, on pourra la corriger ou l'inverser à travers une relation singulière au sein de l'école, en ce qui nous concerne, le " suivi " psychologique. Cette relation singulière nécessite une certaine distance entre celui qui apporte l'aide à l'enfant et la façon dont l'école et l'enseignant voient le problème. Envisager le problème d'un enfant de la même façon que l'envisage l'école, c'est d'emblée se disqualifier vis à vis de l'enfant comme pouvant être un médiateur dans la relation dysfonctionnelle résultant d'une prise en compte inadéquate de ses difficultés de départ. Nous devons être dans un entre-deux relationnel, dans un espace transitionnel permettant à l'enfant de se réconcilier avec l'école et de restaurer l'estime de soi et le désir d 'apprendre perdus dans l'école et en partie à cause de l'école.

 

Illustration

Sarah, petite fille d'origine portugaise est signalée dès la moyenne section d'école maternelle en ces termes : " Enfant refusant de parler, de communiquer. L'enseignante et l'assistante de petite section n'ont jamais entendu non plus le son de sa voix. Sarah est une petite fille qui accepte de participer aux différentes activités de la classe (graphisme, mathématiques, etc.), elle est très timide et souvent solitaire dans la cour. Cependant, des enfants de la classe me disent l'avoir entendue parler au cours de leurs jeux.
Au cours des séquences de langage en petit groupe, j'ai sollicité plusieurs fois Sarah sans effet. La maman affirme que Sarah est une enfant très bavarde en dehors de l'école. Elle accepte de rencontrer le psychologue scolaire."

Premier entretien (décembre)

Mère : Le problème, elle parle pas à l'école, l'an dernier c'était pareil.
Psy : Et à la maison ?
Mère : Elle arrête pas. Elle raconte tout ce qu'elle fait à l'école, les chansons qu'elle apprend.
Psy : Elle y va avec plaisir ?
Mère : Le matin ça va. Mais dès qu'elle est sur le trottoir je l'entends pleurer. Elle hurle.
Psy : Ça doit vous fendre le cœur !
(Le psychologue essaie d'entrer en relation avec Sarah, même de manière non verbale, sans y parvenir : refus)
Mère : Quand il y a quelqu'un à la maison, elle arrête de parler. Sauf quand c'est les petits neveux. Ma belle sœur elle lui parle pas.
Psy : Tu as des frères et sœurs ?
Mère : Brandon 15 ans, Raphaël 13 ans et Fabien 11 ans.
Psy
: Lui, ça marche bien ?
Mère
: Bof !
Sarah : (fait oui de la tête)
Mère
: Ça a l'air d'aller. Il démarre. Elle se laisse pas faire avec ses frères. Ils font pas la loi. Mais à l'école ! Pourtant à la maison, même toute seule dans la chambre, elle chante toutes les chansons qu'elle a apprises à l'école. Quand elle prend sa douche aussi.
Psy : A l'école, il y a un pas qu'elle arrive pas à franchir ?
Mère : Dans la cour elle est toute seule. Ca l'intimide l'école. Raphaël il était pareil. Le maître le disait au Cours Préparatoire. Pareil, dans son monde à lui. Raphaël, c'est pas qu'il est pas intelligent. Il veut pas travailler. Lui, ça lui plaît pas l'école. Il veut faire un travail manuel.
Psy : Ça a duré jusqu'à quand, sa timidité ?
Mère : Jusqu'au Cours Moyen. Exactement pareil à la maternelle. Il ne parlait pas. Psy : Comment ça s'était arrangé ?
Mère : Il était allé voir une dame à l'école (rééducatrice), après c'était reparti.
Psy : vous voulez qu'on essaye pour Sarah ?
Mère : Oui

Second entretien (mai)
(Sarah a souvent été absente, l'aide rééducative n'a pu se mettre en place.)

(Sarah a la bouche fermée. Elle n'est pas souriante)
Mère : Elle a été absente de l'école pendant 2 mois. La grippe, et puis après otites et tout ça. Elle est encore sous traitement, avec l'asthme qu'elle a. Son frère Raphaël, ça s'est décoincé.
Psy : Quand ? Mère : Au CM2. Là encore en 4ème, ils disent qu'il est dans son monde à lui. Il aime pas l'école.
Psy : Et Sarah ?
Mère : Au début, elle parlait. Mais elle a dû se faire engueuler. Sa maîtresse, en petite section, était un peu sévère. Elle a dû l'engueuler. Depuis elle parle plus. Elle a dû se dire " vaut mieux plus parler ".
Psy : Et cela qu'à l'école ?
Mère : Oui. C'est en arrivant à l'école. Elle parle plus. Même a moi elle me parle plus. Dès qu'on est arrivées à l'école. Même une amie portugaise que je connais depuis 14 ans. Dès qu'elles sont arrivées à l'école, elle lui parle plus. C'était chez la directrice. Elle m'en a pas parlé à moi. Elle en a parlé à son grand frère Brandon. Elle a dit à Brandon que la directrice punissait les enfants qui parlaient aux autres enfants turbulents. Avant elle parlait, ça a duré 6 mois que ça allait bien. J'ai été la voir quand Brandon m'a dit ça. La directrice m'avait dit qu'elle n'avait pas de raison de punir Sarah parce qu'elle travaillait très bien. Comme elle était déjà timide à la maison.

Troisième entretien (fin mai)

Mère : Dès qu'elle arrive à l'école, elle ne parle plus. Elles sont dehors, dans la cour, je les entends de chez moi. Est-ce qu'elle a peur qu'on la punisse ?
Psy : Pourquoi vous venez me voir ? On s'est vus il y a peu de temps !
Mère : La maîtresse est très inquiète. Elle insiste pour que je prenne rendez-vous. Comme Sarah a été absente.
Psy : Qu'est-ce qu'elle avait ?
Mère : Elle a eu la grippe, de l'asthme, des otites. 40 de fièvre. Des crises d'asthme avec fièvre.
Psy : Elle est asthmatique depuis toute petite ?
Mère : Depuis l'année dernière. On a fait tous les tests pour voir si elle était allergique. Elle a rien du tout.
Psy : Avant, rien ?
Mère : C'était le mois d'août, avant qu'elle rentre à l'école. on était au Portugal. Ils voulaient pas que je la ramène, mais il y avait l'école.
Psy : On pourrait parler de tout cela. Reprenez contact avec moi à la rentrée si vous le jugez nécessaire.

Sarah n'est pas signalée en difficulté l'année suivante (grande section d'école maternelle) et les parents n'ont pas contacté le psychologue scolaire. Ce n'est qu'au cours préparatoire, en octobre, que la maîtresse s'inquiète en ces termes : " L'enfant est enfermée dans un mutisme total en classe, que ce soit vis à vis de l'enseignante ou des autres enfants. Il ne semble pas qu'elle communique avec qui que ce soit dans l'école.
En revanche, elle parle dans sa famille, et dès qu'elle a passé la porte de l'école. elle a des capacités en lecture, écriture, compréhension, mathématiques.
La mère est favorable à une intervention rapide du psychologue scolaire et regrette que cela n'ait pas été fait en grande section, alors que l'enfant ne parle plus en classe depuis la petite section. "

Quatrième entretien (octobre)

Mère : Elle parle toujours pas.
Père : Dès qu'elle voit la porte de l'école.
Mère : J'en ai parlé à mon médecin. Avec le docteur, elle parlait pas au début. Maintenant ça va tout seul. Maintenant elle parle un peu avec ses copines. Elle est allée à un anniversaire et elle a parlé aux parents de sa copine.
Père : Elle est contente de venir à l'école.
Psy : Alors ?
Mère : Même quand elle arrive au Portugal, elle parle plus. Elle me dirait que la maîtresse elle est méchante. Mais elle l'aime.
Père : C'est la langue pour travailler; parce que dehors, ça y va.
Mère : Elle choisit les gens avec qui elle parle. Son frère lui dit " pourquoi tu parles pas à l'école ? " Elle a dit " la directrice elle punit tout le temps, alors je parle plus ". Père : Pourtant elle travaille bien. Quand je lui lis une histoire, elle arrive à lire certains mots.
Mère : Les livres de bibliothèque, on les lit le soir.
Père : Elle arrive à rajouter les mots les uns après les autres. Pas tous .
Psy : (aux parents) Est-ce que l'un ou l'autre a eu la même difficulté ?
Mère : J'ai pensé la mettre à la cantine. Mais déjà qu'elle mange pas bien. Le Docteur m'a dit qu'il faut pas la forcer à manger. Il faut laisser le manger sur la table, si elle a faim, elle mangera. Faut bien qu'elle mange.
Père : Papa, il rouspète si ça reste dans l'assiette.
Psy : De qui elle tient ça ?
Mère : De moi. Quand j'étais petite, je parlais pas non plus.
Psy : A l'école ?
Mère : Non, ça allait très bien. Quand j'allais chez ma tante, je me mettais dans un coin.
Psy : Et avec votre mère ?
Mère : Je ne sais pas. J'ai pas beaucoup vécu avec ma mère. Quand j'étais petite, j'ai vécu avec ma grand-mère jusqu'à 14 ans. Ma tante m'a emmenée en France à 14 ans. Parce que je savais pas lire et écrire, il fallait faire des papiers. Quand je suis arrivée je parlais pas français. Elle m'a mis à l'école tout de suite. Je suis arrivée Le 29 août, je suis rentrée en septembre. Ils m'ont mis au CE1, un mois après au CM1. J'ai été à l'école pendant 2 ans. Après j'ai arrêté. Comme j'aimais pas l'école, maintenant je regrette.
Psy : Pourquoi avez-vous été élevée par votre grand-mère ?
Mère : Parce que ma mère m'a eue quand elle était jeune fille. J'ai vécu chez ma mère jusqu'à l'âge de 4 ans. Elle s'est mariée, mais son mari ne voulait pas de moi. Il m'aimait pas. Ma grand-mère a fait une demande.
Psy : Elle vous aimait ?
Mère : Ma mère aussi elle m'aimait. Lui était déjà méchant avec elle.
Psy : Vous voyez toujours votre tante ?
Mère : (pleure) J'ai perdu ma tante en janvier, elle avait 71 ans. J'ai vécu 30 ans avec elle. Elle habitait au rez-de-chaussée et nous à l'étage.
Psy : Elle était mariée ?
Mère : Elle avait pas d'enfant. C'est elle qui a élevé tous mes enfants. Je travaillais. Au début ça me plaisait pas trop. Quand on sortait, qu'on allait au bal, c'est ma tante qui gardait la petite.
Psy : (à Mère) Je vous propose de vous voir seule, si toute cette histoire vous pèse. Téléphonez-moi quand vous penserez que c'est le moment.

Un génogramme est réalisé au cours de l'entretien :

Cinquième entretien (mars)
(Mère seule)

Mère : je ne sais pas ce que j'ai depuis ce matin, je tremble de partout. Quand je me suis levée ce matin, ça allait pas dut tout.
Psy : Vous voulez qu'on reporte le rendez-vous ?
Mère : Non.
Psy : Vous souvenez-vous de ce dont on a parlé la dernière fois ?
Mère : Je m'en rappelle plus.
Psy : Vous aviez quitté le Portugal à l'âge de 14 ans. Vous vous en souvenez ?
Mère : Un voyage normal, en train.
Psy : Ça vous a fait quelque chose ?
Mère : J'ai pleuré. Après sur la route, ça allait mieux. Quitter ma grand-mère ça a été dur. Une fois que j'étais partie, ça allait. Je savais bien qu'avec ma tante je serais bien. Par contre j'étais pas contente, c'est quand on m'a mis à l'école. Si j'avais su que c'était pour venir à l'école, je serais pas venue. Fallait bien que j'apprenne à lire et à parler. J'étais allée à l'école au Portugal jusqu'à 10 ans. Quand j'ai du aller à l'école, j'ai pas aimé ça. J'étais pas contente parce qu'ils me l'avaient pas dit. Ma tante et mon oncle me l'avaient pas dit. Psy : Ils s'attendaient à votre réaction ? Mère : ils ont du se dire : si on lui dit, elle ne va pas venir. J'ai travaillé à 14 ans au Portugal. J'ai gardé des enfants.

Commentaires

Dans un premier temps la mère met le problème du mutisme sélectif sur le compte de l'école source du " blocage " de Sarah.
Elle sait bien ce qui lui est arrivée dans son enfance. Elle sait que sa fille est asthmatique. Elle sait tout cela, mais ne fait pas de liens entre ces éléments, et encore moins avec le fait que Sarah ne parle pas en classe . Cela ne la dérange pas, sa fille parle à la maison.
On ne peut dire que la problématique est familiale qu'après plusieurs entretiens qui ont permis de faire émerger un processus avec son cortège de résonances anciennes et actuelles.
Etait-ce le rôle du psychologue scolaire de mener ces entretiens jusqu'à leur conclusion ? Ou l'enfant devait-il être adressé en consultation médico-psychologique ? Qui pouvait le dire ?
Il fallait bien comprendre ce qui se passait qui faisait que l'enfant ne parlait pas à l'école. Et à quoi sert de comprendre sans permettre à la famille de comprendre ?

C'est bien en cela que consiste notre mission de psychologue et en particulier la dimension de suivi psychologique : permettre que l'école et la famille comprennent la dimension relationnelle des problèmes posés et fassent des liens entre l'histoire scolaire de l'enfant et l'histoire de chacun avec les résonances qu'elle implique nécessairement lorsqu'on est confronté à une personne en développement.
Dans la situation que nous relatons, c'est la mère (et le père dans une moindre mesure, mais sa présence le permet) qui va faire des liens ; le psychologue ne fait qu'activer le processus à partir de 2 interventions :
- Est-ce que l'un ou l'autre a eu la même difficulté ?
- De qui elle tient ça ?
Ainsi, au fur et à mesure, le problème de Sarah apparaît comme une métaphore du problème de la mère. Comme l'a très bien conceptualisé Mony ELKAÏM, on peut alors distinguer deux aspects à la problématique familiale : une carte du monde qui définit les différentes interactions des membres de la famille en fonction de l'histoire de chacun et de son poids respectif (processus inconscient) et un programme officiel qui définit ce que veut faire la famille, son but conscient.

La carte du monde :
Sarah ne peut s'empêcher (c'est son rôle dans le jeu familial) de répéter sous une forme métaphorique les traumatismes vécus par la mère dans son enfance (séparation d'avec sa mère) et dans son adolescence (séparation d'avec ses grands-parents puis exil avec sa tante), ces traumatismes n'ayant pu être élaborés symboliquement, n'ayant pu être parlés, probablement du fait que la tante était devenue le seul lien affectif, sorte de bouée de sauvetage, ne pouvant être attaqué par des reproches sous peine de sombrer dans la dépression ou le sentiment d'extrême solitude.
Cette loyauté envers la tante (on voit comment la mère parle de ces événements traumatiques en les banalisant et comme elle évoque le décès de sa tante avec des larmes) si elle est invivable, elle ne peut être trahie car elle est vitale au sens fort du terme, pour une adolescente de 14 ans dans un pays étranger dont elle ne parle pas la langue.
Le symptôme (ici exprimé par Sarah, probablement à la suite de son frère Raphaël) est bien comme le dit Jacques-Antoine MALAREWICZ, un compromis malheureux entre une loyauté invivable et un e trahison impossible.

Le programme officiel :
Sarah doit venir à l'école, parce que moi, la mère, n'en ai pas bénéficié et ai du exercer des emplois subalternes. On va donc faire tout ce que nous demande l'école et en même temps le rendre inopérant en maintenant l'homéostasie du système bien cristallisé que l'école s'emploie, avec acharnement à pathologiser, arguant de la souffrance de l'enfant, alors qu'il s'agit de la souffrance des enseignants.

La question qui se pose alors est : comment aider Sarah à ne plus aider sa mère et à sortir de cette impasse dans laquelle elle s'est enfermée ?
Mais on ne doit pas en mésestimer une autre : comment faire en sorte que l'école se désengage du processus et cesse d'aggraver la situation en essayant d'y apporter des solutions qui ne font que renforcer le problème?

Tout d'abord, il faut donner raison au symptôme, pour lui donner du sens.
Dans ces situations de mutisme sélectif, l'école va chercher à tout prix à donner tort au symptôme. Pour le bien de l'enfant, évidemment. Mais elle va lui donner tort.
Sarah doit parler en classe.
C'est bon pour elle, pour son épanouissement, pour ses apprentissages. Et comment pourra-t-on l'évaluer ? On voit ainsi dans quelle incohérence hiérarchique l'enfant entraîne les enseignants de toute l'école qui veut à tout prix faire parler l'enfant, quitte à la mettre dans des situations perverses où elle ne pourrait faire autrement que de parler : avoir envie d'aller aux toilettes, se trouver renfermée quelque part, etc.. L'enfant prend alors beaucoup de pouvoir sur les adultes (à ce jeu là il est toujours plus fort que les enseignants) par l'aspect impressionnant de sa résistance à tant de pression. On admire même cette volonté, cette force qui en même temps fait peur.

Permettre que l'école prenne conscience de ces enjeux et se retire de l'escalade symétrique qu'il implique est une étape indispensable et même préalable à toute intervention auprès de la famille.

En quoi consiste le suivi psychologique auprès de la famille?

Le processus apparaît comme une répétition transgénérationnelle.
Sarah refuse de parler à l'école comme sa mère, en arrivant du Portugal ne pouvait parler du fait de sa méconnaissance de la langue française.
Pour la mère, l'école se trouvait représenter les difficultés liées à la langue, la souffrance non exprimée, tue, d'avoir été séparée de sa mère, puis de sa grand-mère. Les grands parents de Sarah ont tenté de la retenir au Portugal probablement comme sa mère aurait aimé l'être en son temps.
C'est comme si Sarah subissait ce que sa mère avait subi, adolescente, sans avoir son mot à dire.

Comme l'écrit Cloé MADANES, quelle que soit la difficulté de l'enfant, son comportement perturbé permet aux parents (ici à la mère) de mettre, au moins temporairement, ses problèmes de côté (ici un syndrome d'abandon réactivé par le décès de sa tante).
En ce sens, le comportement perturbé de l'enfant aide sa mère en la soulageant, de ses soucis, même si c'est insuffisant à la suite du deuil qui la frappe.
Cette difficulté de Sarah, ce symptôme ou ce trait de personnalité, comme on voudra l'appeler, est à considérer comme une métaphore de la souffrance de la mère. Maurice BERGER, parle d'enfant-symptôme, concept décrit en premier par M. BALINT en 1960 dont l'expression exacte est " l'enfant comme symptôme offert ". Pour Maurice BERGER : "Un enfant absolument normal est amené en consultation, le plus souvent par un seul de ses parents, parfois par les deux. Ceci représente la façon dont ce parent peut demander à parler d'une difficulté personnelle. Il s'agit d'une attitude préconsciente, non volontaire. "
C'est le travail du professionnel consulté (ici le psychologue), auquel ces " offres ", comme le dit BALINT sont adressées, de mettre cela au clair. " Le parent peut ensuite parler de ses difficultés en son nom propre et n'a plus besoin de ramener l'enfant en consultation."
Pour l'enfant-fonction, BERGER précise que ses troubles " ont pour fonction de maintenir un équilibre dans la famille et d'éviter ainsi l'apparition d'une crise, comme si les liens entre les membres du groupe familial ne pouvaient se maintenir qu'à ce prix là. ..cet enfant a pour fonction de traduire le malaise du corps familial, d'être le porteur du noyau problématique de la famille ", ses symptômes représentant la seule expression manifeste de souffrance, " la seule forme possible d'appel à l'aide vers l'extérieur. " Nous ne sommes pas exactement dans cette situation.
Toutefois, la difficulté du travail du psychologue est d'amener l'enfant à renoncer à un comportement perturbé qui aide ses parents (ou un de ses parents dans notre exemple, c'est pour cela qu'on parlera plus volontiers d'enfant-symptôme), et les parents (ici la mère), à abandonner un système d'interaction qui a une fonction utile mais déplorable pour l'enfant.
Sarah n'a pas à vivre la douleur de sa mère.
Les analogies entre la situation psychologique du parent et celle de l'enfant sont généralement assez perceptibles.
Ainsi, lorsque le psychologue trouve un indice de la métaphore proposée par le comportement perturbé de l'enfant, il est utile de demander si un des parents ou un membre de la famille a eu un problème similaire à celui de l'enfant.
Toutefois, précisons dès maintenant que le travail du psychologue scolaire doit se limiter à un travail préparatoire à une consultation spécialisée du parent concerné. Même si ce travail peut être long dans le temps car les obstacles ne manquent pas dans ce genre d'objectif, un conseil trop hâtif peut ruiner pour longtemps une démarche possible de ce parent.

En quoi consiste le travail avec l'enseignant ou les enseignants de l'école ?

L'école a une part active dans le processus de désignation qui mène de la difficulté au problème. Par ses interventions auprès de l'enfant et auprès de la famille, elle favorise la sélection du comportement qui va par la suite se répéter, être amplifié à la suite des réponses qu'il occasionne, en partie parce qu'il prend un sens particulier (même inconscient) pour le porteur de ce comportement et pour les autres membres du système ainsi formé.
" Le symptôme ", comme l'écrit Guy AULOOS, " ne remplit pas de fonction au moment de son apparition ". C'est un comportement banal, dans notre cas la peur de la maîtresse qui est un peu sévère, qui aurait tout aussi bien pu devenir problématique ou demeurer anodin.
" Ce n'est que lorsque ce comportement est ponctué comme étonnant, bizarre, inquiétant, qu'il commence à devenir un enjeu dans le champ relationnel de l'école et du système familial. "
Selon que l'école en fera " un plat " ou l'acceptera comme une réaction légitime à une situation de stress, la répétition du comportement sera alors parallèlement amplifiée ou réduite par les membres du système. C'est parce que les membres du système (l'école en l'occurrence) privilégient ce comportement, qu'ils se fixent sur ce symptôme, qu'ils contribuent à figer le comportement comme symptomatique. " C'est à ce stade que le comportement inquiétant commence à remplir sa fonction…il commence à entrer dans les modalités organisationnelles du système et à participer à l'économie personnelle du sujet qui devient ainsi patient-désigné. "
" Le comportement sélectionné et amplifié se cristallise, commence à devenir une habitude " dont le sujet aura du mal à se défaire, car il devient le moyen par lequel on l'identifie dans le système scolaire et familial (voir ce qui est rapporté de ce que dit le frère au quatrième entretien).
En effet, si le symptôme venait à disparaître, il y aurait quelque chose d'étonnant, d'anormal, qui amènerait chacun à se questionner et par là même à relancer le symptôme " et empêcher sa disparition.
La pathologisation est alors devenue inévitable, dans la mesure où le sujet se sent de plus en plus mal avec son comportement symptomatique, se trouvant placé dans une situation où il ne peut plus satisfaire les finalités du système qu'au dépend de ses finalités individuelles.
A ce titre, le symptôme représente, comme nous le soulignions précédemment, le compromis qui permet à l'enfant de sortir de cette incompatibilité entre ses finalités individuelles et les finalités de l'école et de la famille.
Comme dit AUSLOOS, " si le système (pour nous, l'école) a contribué à l'émergence du symptôme, il devrait également pouvoir contribuer à sa disparition ".
Partir de ce postulat, c'est bien sûr faire le pari que les compétences de l'école puissent être utilisées ou réactivées, afin de dénouer ce qu 'elle a contribué à nouer. Notre rôle de psychologue scolaire n'est pas alors de solutionner les problèmes, mais que l'école trouve les solutions. Il n'est pas de comprendre, mais que les enseignants comprennent.
Autrement dit, la solution ne passe donc pas nécessairement par une compréhension su sens ou de la fonction du symptôme. Ce qui semble important, c'est de créer un cadre ou si l'on préfère un recadrage, où nous puissions activer le fonctionnement du système scolaire qui se trouve momentanément bloqué, pour qu'il puisse à nouveau utiliser les compétences dont elle dispose afin, comme le dit AUSLOOS, " que surgisse l'imprévisible ".
Cela passera, entre autre, par la circulation de l'information, la recherche des compétences de chacun, par exemple sen suscitant l'émergence des résonances intimes des protagonistes et par l'abstention volontaire, pour le psychologue scolaire de tout but précis, malgré la pression qu'il subit alors de la part de l'institution dont il fait partie, avec son cortège de loyautés masquées par le désir de bien faire souvent source d'un activisme dont on peut imaginer l'issue et les désillusions qui en découlent, pour ne pas parler de sentiments d'incompétence ou des attitudes disqualifiantes de la part de nos partenaires enseignants.
On sait qu'il est difficile pour l'école de changer de regard et d'inverser un processus répétitif.
D'où l'importance d'occuper une place méta-communiquante (Grégoire EVEQUOZ parlerait de " supra-système éducatif ") afin de créer un espace transitionnel où le psychologue, quant à lui, donnerait raison au symptôme, et non à l'un ou à l'autre, et s'exclurait ainsi du processus de renforcement du problème auquel l'école participe souvent dans son ensemble dans de telles situations.
En effet, l'asthme et les autres maladies de Sarah sont ici certainement le reflet de la fusionnalité mère/enfant empêchant toute individuation, toute différenciation. L'école, par sa fonction même, est la scène où se joue métaphoriquement la séparation, l'individuation, la différenciation, trahison impossible pour Sarah, de la répétition transgénérationnelle.
La loyauté consiste alors pour elle à se taire, même si cela devient invivable dans l'école toute puissante qui arrivera à tout prix à la faire parler.
Le risque est que le psychologue entre dans cette toute puissance qui consiste à faire en sorte que l'enfant se mette à parler, par d'autres moyens bien sûr, mais aboutissant au même résultat.
Il faut bien jouer au même jeu que l'école, car nous sommes sur le même terrain, mais pour mieux en changer les règles, car les enseignants ne sont pas tant les coupables que les covictimes. Comme le dit Moshe LANG, le problème, ce ne sont pas les danseurs mais la danse.

 

Bibliographie

AUSLOOS G., La compétence des familles, 1995, Toulouse, Érès
BERGER M., Le travail thérapeutique avec la famille, 1995, Paris, Dunod
ELKAÏM M., Si tu m'aimes, ne m'aimes pas, 1989, Paris, Le Seuil
EVEQUOZ G., Le contexte scolaire et ses otages, 1984, Paris, ESF
LANG M., Familles je vous aime, 1989, Paris, Atelier Alpha Bleue
MADANES C., Stratégies en thérapie familiale, 1991, Paris, ESF
MALAREWICZ J-A., Quatorze leçons de thérapie stratégique, 1992, Paris, ESF

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