par Eric Loeillet, Psychologue.
La pédopsychiatrie s'est développée
et organisée autour de la déficience mentale qui, à ses débuts,
représentait pratiquement son unique objet d'étude.
Les diverses catégories nosographiques actuelles sont presque
toutes issues du cadre de l'«idiotisme » où Pinel amalgamait
«demeuré», déficience intellectuelle et état de stupeur.
Esquirol différencie ensuite demeuré et idiotisme : « L'homme en démence est privé des biens dont il était comblé, c'est un riche devenu pauvre ! L'idiot, lui, a toujours été dans l'infortune et la misère ». Puis parmi les idiots, Esquirol décompose l'idiotie et 1'imbécilité (sujet moins profondément atteint).
Seguin, à la fin du XIXe siècle, sépare à nouveau l'idiotie et 1'imbécilité dont il reconnaît l'incurabilité, de l'«arriération mentale » détaillée par une lenteur plus ou moins récupérable du développement intellectuel.
Binet enfin, au début du XXe siècle, introduit la psychométrie qui deviendra vite le critère de partage des diverses déficiences.
S'il n'y a pas de doute quand il s'agit
d'une déficience profonde, en revanche, il est malaisé de définir
la limite supérieure de la déficience.
L'exigence scolaire a été à l'origine de la création des
tests avec pour souci de distinguer les enfants aptes à une
scolarité normale et ceux qui ne le sont pas. Aussi a-t-on
quasiment confondu, au début de la psychométrie, débilité et
inaptitude scolaire.
Or, en utilisant un tel critère, des travaux plus récents (Chiland)
ont montré qu'un Q.I. > 96 était nécessaire pour poursuivre,
de nos jours, une scolarité satisfaisante : selon ce critère,
la débilité commence-t-elle à partir d'un Q.I. < 96 ?
D'un autre côté, sur le plan statistique, la plupart des tests
(en particulier le W I.S.C.) sont construits pour que la majorité
de la population (95 %) soit comprise entre - 2 et + 2 déviations
standards : dans cette optique statisticienne, la déviance
anormale commence à un Q.I. inférieur ou égal à 70 car, quand
le Q.I. est supérieur à 70, on se situe dans le champ de la répartition
gaussienne normale.
D'un point de vue pratique et empirique, de nombreux pédiatres
et pédopsychiatres (Dailly) considèrent de leur côté que la débilité
se caractérise par un Q.I. inférieur ou égal à 85.
Enfin, en utilisant non plus une mesure psychométrique, mais grâce
à l'étude des structures logiques, d'autres auteurs (Inhelder)
caractérisent la débilité par l'impossibilité d'accéder aux
structures de la pensée formelle.
On le voit, définir une limite supérieure à la débilité est malaisé. Ces incertitudes pèsent lourdement sur l'approche conceptuelle et théorique du problème de la débilité et expliquent en partie les divergences de point de vue.
déficience mentale profonde | |
Q.I. inférieur ou = à 25 | |
déficience mentale sévère | Q.I. inf ou = 40 |
déficience mentale modérée | Q.I. inf ou = 55 |
déficience mentale légère | Q.I. inf ou = 70 |
déficience mentale limite | Q.I. inf ou = 85 |
La déficience mentale légère ou limite
n'est habituellement reconnue qu'à l'âge scolaire.
Il existe un pic de fréquence entre 10 et 14 ans, puis
une diminution brutale du nombre de débiles au-delà de
cet âge : cette diminution épidémiologique montre
combien la débilité mentale, en particulier limite, est
liée à la situation scolaire.
A tous les niveaux de la déficience mentale on note une prépondérance de garçons (60 %).
La référence au Q.I. ne doit pas, en dépit
de sa facilité d'utilisation, faire oublier ses problèmes méthodologiques
(Quelques réflexions sur le Q.I. - Quotient Intellectuel -
seront abordées dans une autre page) en particulier la
variabilité fréquente de ce Q.I.
C'est dire que les limites ici sont arbitraires, un enfant
pouvant très bien évoluer dans un sens ou dans l'autre. Ces
limites sont donc relatives, et n'ont de validité que
statistiques.
le niveau mental ne dépasse pas 2 à 3
ans.
On note dans la petite enfance un retard massif de toutes les
acquisitions, qui restent souvent incomplètes.
L'autonomie des conduites de la vie quotidienne est partielle (alimentation,
toilette, contrôle sphinctérien), mais peut toutefois être améliorée
dans le cadre d'une bonne relation.
Le langage est quasi inexistant, réduit à quelques mots ou phonèmes.
Ces patients dépendent d'un tiers, le plus souvent d'une
structure institutionnelle.
Lexistence d'anomalies morphologiques, de troubles
neurologiques, de crises épileptiques associées est fréquente.
ces sujets ne dépassent pas un âge
mental de 6-7 ans.
Le retard de développement psychomoteur est fréquent.
Une certaine autonomie dans les conduites sociales est possible,
surtout si l'enfant évolue dans un cadre stimulant et chaleureux,
mais un encadrement protecteur reste nécessaire.
Le langage reste asyntaxique, quoique son niveau dépende
beaucoup du degré de stimulation de l'entourage.
La lecture, en revanche, est impossible ou reste au niveau d'un déchiffrage
rudimentaire; la scolarisation est impossible.
La pensée se maintient au stade préopératoire.
la scolarité devient un critère
fondamental : l'échec scolaire caractérise ces enfants qui,
jusqu'à l'entrée à l'école, ont eu le plus souvent un développement
psychomoteur normal.
Le langage ne présente pas d'anomalie grossière,
l'insertion sociale extrascolaire (avec la famille, les autres
enfants) est souvent satisfaisante.
Il est rare de trouver des anomalies somatiques associées.
En réalité ce sont donc les exigences d'une scolarité
obligatoire qui conduisent à isoler ce groupe. L'incapacité d'accéder
à une structure de pensée formelle représente une limite à la
progression dès les premières classes de la scolarité primaire.
Cest dans ce groupe que l'équilibre affectif, la qualité
des relations avec l'entourage, le poids des facteurs socio-économiques
et culturels semblent jouer un rôle fondamental sur lequel nous
reviendrons.
La présence de ces troubles est sinon
constante, du moins très fréquente.
Leurs manifestations cliniques dépendent en partie de la
profondeur du déficit cognitif.
On peut décrire deux extrêmes entre lesquels tous les intermédiaires
peuvent se rencontrer.
on rencontre fréquemment des
perturbations relationnelles massives : isolement, voire véritable
retrait affectif, stéréotypies fréquentes sous forme de
balancement, décharges agressives et grande impulsivité, en
particulier en cas de malaise ou de frustration, automutilations
plus ou moins graves.
L'ensemble de ces symptômes n'est pas sans évoquer ce qu'on
observe dans certaines psychoses infantiles précoces, ce qui a
fait discuter la possibilité d'une organisation psychotique
conjointe dans ces déficits massifs (Misès).
les perturbations affectives sont très fréquentes (50 % des cas selon Heuyer) et s'organisent selon deux lignées :
instabilité, réaction de prestance
pouvant aller jusqu'aux réactions coléreuses devant l'échec,
troubles du comportement en particulier chez l'adolescent entraîné
par ceux de son âge (petit délit, vol...).
A ces conduites s'associe souvent une organisation très rigide
marquée par des jugements à l' «emporte-pièce» , excessifs,
sans autocritiques;
l'inhibition, la passivité, l'abattement,
une soumission extrême à l'entourage des adultes comme des
enfants.
Les possibilités intellectuelles peuvent, elles aussi, subir le
poids de cette inhibition : les tests mettent alors en évidence
des échecs répétés qui entravent l'efficience intellectuelle.
L'existence de ces perturbations
affectives traduit pour Misès le caractère dysharmonique de l'organisation
de la personnalité de l'enfant débile dont la baisse de l'efficience
doit être comprise comme une manifestation symptomatique au sein
d'une organisation psychopathologique à évaluer.
Nous reverrons ce point dans le chapitre (en construction)
consacré à l'étude psychopathologique.
Chez d'autres enfants, en revanche, on
ne note pas de troubles affectifs particuliers en dehors d'un
certain infantilisme ou puérilisme :
il s'agirait ici, selon certains auteurs, de la débilité «
harmonieuse, simple ou normale ». Dans cette optique, la débilité
normale ne serait que le témoin de la répartition gaussienne du
Q.I.
L'existence de troubles instrumentaux est fréquente, sinon constante, y compris dans la débilité légère ou limite.
Nous ne ferons que les citer brièvement ici.
On note entre autre :
La « débilité motrice », concept forgé par Dupré et qui peut s'associer à la débilité mentale, sera envisagée dans un autre chapitre.
En réalité tous les types de troubles instrumentaux peuvent s'observer. Le problème est d'apprécier leur relation avec le déficit intellectuel, ce que nous reverrons dans les paragraphes suivants.
Toutes les atteintes du S.N.C.(Système
Nerveux central) quelle qu'en soit la cause, sont susceptibles d'entraîner
une diminution des capacités intellectuelles.
Sur un plan statistique, il existe une corrélation entre la
profondeur du déficit intellectuel et l'existence d'une étiologie
organique : plus le déficit est profond, plus la probabilité de
trouver une cause organique est grande.
Toutefois, au niveau des cas individuels, des exceptions sont possibles, des déficits profonds peuvent ne s'accompagner malgré toutes les recherches, d'aucune étiologie organique évidente.
Encéphalopathies infantiles dont :
Les encéphalopathies congénitales : | - Aberrations chromosomiques telles que la trisomie 21 (appelé syndrome de Down au mongolisme encore Etats-Unis) |
- Déficit enzymatique tel que la phénylcétonurie, la galactosémie, la maladie de Hartnup, les maladies de surcharge métabolique | |
- Malformations cérébrales : microencéphalie, hydroencéphalie,... | |
- Les neuroectodermoses : ensembles des maladies héréditaires où sont associés un syndrome neurologique et des manifestations cutanées. La débilité est quasi constante et profonde. | |
- Encéphalopathies endocriniennes et métaboliques : hypothyroïdie, notamment. | |
- Embryopathies : encéphalopathies rubéolique et toxique | |
- Foetopathies : toxoplasmose congénitale | |
Les encéphalopathies néonatales : | - traumatismes obstétricaux, la prématurité qui se surajoute fréquemment. |
Les encéphalopathies acquises : | - citons les encéphalites dues à lherpès, à la rougeole... |
- les séquelles de traumatismes crâniens. |
Infirmité
motrice cérébrale (I.M.C.) (19 % des enfants handicapés)
Il sagit dune atteinte des
capacités motrices de lenfant.
Le développement intellectuel est théoriquement normal.
Mais le polyhandicap est fréquent.
47% des IMC ont un QI normal ou supérieur. Les autres présentent
une déficience mentale (légère 17%, moyenne 16%, profonde 20%)
qui constitue un handicap supplémentaire aux possibilités de rééducation.
Signalons enfin la fréquence dautres déficits associés :
épilepsie, déficit sensoriel complet ou surtout partiel.
Létude de lorganisation cognitive révèle la fréquence des troubles de lorientation spatio-temporelle et du schéma corporel, aisément compréhensible en raison de latteinte motrice.
Contrairement aux facteurs organiques, les facteurs psychosociaux apparaissent d'autant plus importants qu'on se situe dans le cadre de la débilité légère et limite.
Toutes les études épidémiologiques et statistiques s'accordent à reconnaître que la débilité légère est d'autant plus fréquente que les conditions de vie socio-économique sont basses, que la stimulation culturelle fournie par l'environnement familial est médiocre.
Ainsi, comparant un groupe d'enfants débiles
avec des manifestations neurologiques associées à un groupe d'enfants
débiles sans étiologie organique manifeste, Garone et coll.
trouvèrent qu'il existait une concordance constante et forte
entre la débilité légère, «sans cause organique» et des
conditions socioculturelles défavorables; en revanche les
enfants présentant des troubles neurologiques associés
appartiennent à toutes les couches socioculturelles.
Cette concordance est si forte que ces auteurs n'ont trouvé, sur
une plus vaste enquête parmi les cas de débilité légère,
aucun enfant issu de couches socioculturelles favorisées ou
moyennement favorisées.
Tous les enfants débiles légers sont issus, sans exception, de
classes sociales défavorisées, bien que les conditions économiques
de ces familles ne soient pas trop mauvaises : ils concluent à
la prévalence de la pauvreté culturelle, de la pauvreté des échanges
entre les individus, de la médiocre stimulation par les parents,
de leur indifférence et passivité face aux échecs de leurs
enfants.
Outre les facteurs socio-économiques,
le climat affectif joue un rôle fondamental : on sait depuis
Spitz et ses observations sur l'hospitalisme les effets désorganisants
des carences affectives graves.
Le tableau de carence affective, de dépression anaclitique s'accompagne
fréquemment d'une baisse de l'efficience intellectuelle qui s'intègre
alors dans un ensemble sémiologique plus vaste.
Tout ce qui a été dit précédemment avait pour but de montrer qu'il n'existe pas une débilité en général, mais de nombreux enfants débiles, différents, tant par la profondeur de leur handicap que par les troubles associés, l'organisation psychopathologique sous-jacente, les diverses étiologies possibles.
Ainsi, il n'existe pas une attitude thérapeutique commune, mais une série de mesures dont l'utilisation dépendra de chaque cas individuel.
Nous n'envisagerons pas ici les thérapies propres à une étiologie particulière (anti-épileptique, extrait thyroïdien, régime sans phénylalanine, etc.).
D'une façon générale, les axes thérapeutiques s'organisent autour de trois directions :
- l'abord psychothérapique de l'enfant
et/ou de sa famille.
- les mesures pédagogiques.
- les mesures institutionnelles.
Ces diverses mesures ne sont certes pas
incompatibles entre elles, mais l'utilisation privilégiée de l'une
ou de l'autre dépend avant tout, et nous semble-t-il dans un
ordre d'importance décroissant :
- de l'évaluation psychopathologique de l'enfant et de la
dynamique familiale ;
- des possibilités socio-économiques de la famille (par exemple,
les deux parents travaillent-ils ? L'un d'eux a-t-il la
possibilité ou le désir de s'arrêter ?) et des capacités d'accueil
local (existence d'un hôpital de jour pour enfants débiles, de
classes spécialisées à distance raisonnable du domicile).
- de la profondeur du déficit enfin.
Il peut s'agir de psychothérapie de
soutien ou de psychothérapie d'inspiration analytique (voir
autre page, en construction).
Son indication dépend de la place de la symptomatologie déficitaire
au sein de l'organisation psychopathologique :
plus le déficit apparaît comme le symptôme d'une souffrance
psycho-affective dont témoignent l'angoisse ou diverses
conduites pathologiques associées, plus la psychothérapie paraît
indiquée.
L'abord familial, sous forme de guidance, de psychothérapie
familiale ou de thérapie couplée mère-enfant, ne doit pas être
négligée.
L'enfant débile suscite toujours des
difficultés relationnelles au sein de sa famille : tendance au
rejet ou à l'hyperprotection, démission devant la profondeur du
handicap ou refus de celui-ci.
Dans le couple lui-même, M. Mannoni a bien montré comment l'enfant
débile s'interposait entre son père et sa mère, le père réagissant
souvent par la résignation ou l'ignorance, tandis que la mère
se trouve consciemment ou non prise dans une relation trop étroite
avec son enfant, oscillant entre des attitudes de dressage ou un
comportement de soumission face à ses exigences.
La prise de conscience progressive de ce lien fortement teinté de sado-masochisme, la réintroduction du père ou d'un équivalent symbolique dans un climat ni culpabilisant, ni agressif peuvent aider les parents et l'enfant.
Lorsque prévalent de médiocres conditions socio-économiques, une aide plus concrète de la famille (travailleur social, aide familiale) peut être temporairement utile si elle ne se transforme pas en une assistance chronique.
Elles représentent parfois le seul abord possible lorsque l'enfant semble s'organiser totalement autour du symptôme déficitaire (déficience harmonique ou fixée).
Elles constituent fréquemment le premier temps du traitement.
D'une part on peut proposer une rééducation
individuelle (logopédique, orthophonique, «psychopédagogique
») lorsqu'un secteur paraît particulièrement déficient.
D'autre part existe le vaste champ des diverses classes et établissements
spécialisés.
Nous n'en ferons pas ici le détail (d'autant qu'il change fréquemment!).
Citons les classes de perfectionnement, d'adaptation, les
sections d'éducation spécialisée, les écoles nationales pour
débiles moyens ou légers.
Nous ferons simplement deux remarques d'ordre général :
- il y a un grand écart entre la théorie administrative et la pratique : l'équipement local est souvent déficient, si bien que l'indication par l'école de tel ou tel type de pédagogie spécialisée dépend plus souvent des structures localement existantes que des besoins propres de l'enfant ;
- quelles que soient les bonnes
intentions affichées (possibilité de rattrapage pour une
insertion future dans le circuit scolaire normal, meilleure prise
en considération du cas individuel, etc.), ces structures ont
fonctionné jusque-là plutôt comme des facteurs d'exclusion que
comme des possibilités de réinsertion.
C'est pourquoi, en pratique, il nous semble que tout doit être
raisonnablement tenté au niveau de l'enfant et de sa famille,
avant d'accepter ces solutions.
Les placements institutionnels en externat (E.M.P. hôpital de jour, centres occupationnels de jour) présentent l'avantage de regrouper sur le même lieu des possibilités d'action psychothérapique et des mesures pédagogiques adaptées.
Quant aux placements en internat, c'est une mesure qui doit être envisagée en particulier lorsque l'enfant est en situation de rejet, lorsque sa présence permanente au foyer est la source d'un grave conflit non mobilisable dans l'immédiat, lorsque la profondeur du déficit aliène totalement un membre de la famille au service de cet encéphalopathe profond.
Pour suivre, nous vous proposons une réflexion sur l'apport du
psychomotricien travaillant avec les enfants handicapés mentaux
en institution.