La théorie de l'attachement: Rappels Constats et Elargissements


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Texte de Eric Loeillet (psychologue)

I. INTRODUCTION

 

La notion contemporaine de construction de la famille n’est pas disjointe de celle de l’enfant en développement.

Comme le dit Zazzo (1978), " il est rare qu’un événement, idée nouvelle ou fait nouveau, prenne allure de révolution, (…), Et tout ce bouleversement s’accomplit à partir du fait le plus banal, d’un mot simple entre nous : L’attachement.. ".

Il s’agit d’un processus dynamique et interactif : si l’enfant en développement joue un grand rôle actif, le parent lui aussi est en construction.

Cette construction s’appuie sur des déterminants biologiques, mais l’opposition entre le rôle de l’environnement et le substrat biologique in utero, grâce aux recherches actuelles sur la sensorialité fœtale, en diminuant la représentation discontinue du fœtus et du petit enfant, a permis de situer dès la grossesse l’étude des liens familiaux.

Si la notion de préprogrammation réciproque de l’enfant et de sa mère pour interagir rappelait les fondements biologiques du fonctionnement, les découvertes des vingt dernières années sur les capacités sensorielles précoces du nouveau-né ont montré le rôle actif de l’enfant dans son propre développement, en particulier par sa capacité à rentrer en relation avec autrui.

Le modèle de l’attachement développé par Bowlby à partir de 1958 provenait de la rencontre entre la psychanalyse et l’éthologie.

Dans ce cadre, l’attachement de l’enfant à sa mère constitue un besoin primaire qui s’exprime sous la forme des comportements qui induisent ou maintiennent le contact ou la proximité avec la mère. Ces conduites innées se mettent en place progressivement chez l’enfant au cours de la première année, assurant une " base de sécurité " qui fonde l’amour maternel.

Cette théorie de l’attachement, sur laquelle nous reviendrons, prend en quelque sorte le contre pied de la théorie de l’étayage.

Ce qui est premier dans celle-ci, c’est la satisfaction d’un besoin corporel sur lequel viennent se greffer le plaisir et l’affection ; alors que dans la théorie de l’attachement, ce qui est premier est une véritable communication entre la mère et l’enfant, un besoin d’être proche, même si cela n’implique aucune satisfaction des besoins de l’organisme.

Il n’est pas sûr toutefois que les deux théories soient contradictoires et qu’on puisse les envisager d’une façon complémentaire, l’une venant éclairer certains points obscurs de l’autre.

Au cours de ce document je souhaite dans un premier temps revenir sur la théorie de J. Bowlby de l’attachement pour ensuite dans un second temps faire un bilan de l’actualité de la théorie pour enfin élargir vers les nouvelles pistes de recherche en rapport avec la notion d’attachement développé par Bowlby.

 

 

 

II. La théorie de l’attachement de J. Bowlby :

  1. Introduction

Jusqu’en 1958, année de la publication des premiers articles de HARLOW et de la première édition de l’ouvrage de BOWLBY, il y avait dans les travaux psychanalytiques ou dans les autres publications psychologiques quatre théories principales concernant la nature et l’origine du lien de l’enfant.

Les voici :

 

 

De ses quatre théories, celle qui était de loin la plus largement répandue et la plus approuvée était celle de la tendance secondaire.

Depuis Freud elle avait sous tendu une grande partie des travaux psychanalytiques, et elle a aussi servi couramment d’hypothèse aux partisans de la théorie de l’apprentissage.

 

La théorie de l’attachement formulée par Bowlby, rompt avec toutes les théories antérieures des premiers liens sociaux et affectifs de l’enfant humain.

Elle peut se formuler ainsi : la construction des premiers liens entre l’enfant et la mère, ou celle qui en tient lieu, répond à un besoin biologique fondamental ; Il s’agit d’un besoin primaire, c’est à dire qui n’est dérivé d’aucun.

Cette théorie, avec les travaux d’Harlow et de Bowlby, arrive à maturité en 1958, et c’est vers cette date que le terme d’attachement est proposé pour le distinguer, sinon l’opposer, à la notion d’objet libidinal, et à celle de dépendance émotionnelle.

 

 

  1. Quelques Précisions :

John Bowlby, psychiatre, psychanalyste, est né en 1907.

Sa notoriété lui vaut d’être désigné par l’OMS pour mener une recherche sur la manière de minimiser les conséquences de la perte des parents chez les orphelins de guerre. En lisant la littérature et en rencontrant les spécialistes de l’enfance les plus éminents d’Europe et d’Amérique, il perçoit qu’il existe entre eux un véritable consensus, portant sur l’importance du lien mère (ou substitut)- enfant.

Cette prise de conscience sera l’origine du fil conducteur de ses recherches.

Bowlby est le premier psychanalyste à avoir proposé un modèle de développement et de fonctionnement de la personnalité ou théorie des instincts qui s’éloigne de la théorie des pulsions de Freud.

La théorie de l’attachement repose sur l’histoire naturelle de l’homme, sur son évolution biologique. Lorsque John Bowlby a tenté de mettre en relation certaines intuitions psychanalytiques avec la recherche empirique il a eu recours à :

 

Charles Darwin a joué ici un rôle important, comme en témoigne la biographie de Darwin écrite par Bowlby et publiée quelques jours seulement avant sa mort en 1990.

 

Ses Méthodes :

Bowlby fait référence à son expérience de clinicien pour mettre en lumière certaines incohérences, selon lui, de l’héritage freudien.

Gêné par l’abord subjectif de l’analyse, il privilégie la méthode expérimentale.

L’une des grandes particularités de son œuvre est d’avoir tenté d’y intégrer les résultats des investigations portant sur le domaine animal.

Bowlby situe la spécificité de l’homme, par rapport à l’animal, au niveau d’une communication infiniment plus développée et diversifiée entre les individus, grâce au langage.

Il prend en compte l’idée que la personnalité se forme au cours de l’enfance et même de l’adolescence.

Ayant jeté une sorte de " pont " entre le jeune animal et l’enfant de l’homme, il suggère de se centrer sur certaines constantes de comportement (soin des petits, accouplement), traductions visibles du monde extérieur de l’individu " normal " et donc de choisir un point de vue prospectif.

En terme de méthode, il s’oppose à la démarche historique de Freud qui fonde sa notion de stades à partir de faits ré-élaborés a posteriori par les patients appartenant plus ou moins au registre de la psychopathologie.

En revanche, il rejoint l’approche de Piaget dont les thèses sur la psychologie cognitive proviennent d’observations directes d’enfants, au cours de leur développement, dans un contexte de situation expérimentale.

D’où les critiques d’un certain nombre de psychanalystes qui estiment que Bowlby fait l’économie de la question des désirs et des fantasmes.

  1. Notions essentielles apportées par Bowlby :

    Le comportement instinctif.

    1. Bowlby voit malgré des différences individuelles considérables des schèmes humains ou animaux constants aboutissant à l’accouplement, aux soins de la descendance, à l’attachement des petits aux parents :

      - C’est le comportement instinctif qui n’est pas un acte stéréotypé mais un acte qui se conforme à un schème reconnaissable et dont la fonction est d’aboutir à un bénéfice pour l’individu ou l’espèce donnée.

      - Le comportement instinctif évolue au cours du cycle de la vie.

      - Il n’est pas hérité, ce qui est hérité c’est le potentiel qui permet de développer, à partir d’informations reçues par les organes des sens, de source interne, externe ou des deux combinées, des systèmes de comportement ou stratégies. Il y a un système de contrôle ou système asservi (interaction, feedback, régulation).

      Chez l’homme, même si, par ces capacités d’innover, il présente la particularité d’avoir créé une série d’environnements entièrement nouveaux, il faut néanmoins se référer, à partir de son milieu primitif, à son comportement instinctif qui, malgré toutes les étapes de son évolution, a abouti à sa préservation et à sa présence dans le monde d’aujourd’hui.

    2. Le Concept de l’Attachement : 

Comme nous avons pu le dire plus haut, à travers ce concept Bowlby rompt avec toutes les théories antérieures des premiers liens sociaux et affectifs.

Il est en accord avec ses prédécesseurs pour reconnaître l’existence de besoins primaires, indispensables à satisfaire (celui de la nourriture, par exemple).

Il insiste sur cette notion en en rajoutant une autre jusqu’à présent considérée comme secondaire : C’est le besoin d’attachement.

Son originalité repose sur l’émission de l’hypothèse que le besoin d’attachement est lui aussi primaire et fondamental dans le développement de la personnalité.

Cette hypothèse repose sur la théorie du comportement instinctif dont un cas particulier avait été proposé par Lorentz, chez l’animal sous le nom d’empreinte.

Dans ce sens il s’éloigne ainsi de Freud pour lequel les seuls besoins primaires sont ceux du corps, l’attachement de l’enfant n’étant qu’une pulsion secondaire qui s’étaye sur le besoin primaire de nourriture.

La théorie de l’attachement s’oppose donc aussi biens à toutes les théories de l’apprentissage social, pour lesquelles les liens affectifs se construisent avec des individus intervenant dans la réduction des besoins primaires que donc à la théorie psychanalytique comme nous l’avons vu plus haut, pour laquelle le lien à la mère s’était sur la satisfaction du besoin de nourriture.

 

Répondant à des signaux (activation, terminaison) qui dérivent à la fois d’informations émanant de l’organisme (froid, faim, douleur) et de l’environnement (bruit fort, obscurité…)

 

Conduisant aux buts fixés, dans ce cas précis, assurer la proximiter avec un individu particulier, la mère, qui sera préféré entre tous.

Dans la mesure où le but fixé et atteint, le système comportemental est efficace et d’autres signaux (dits signaux en feed-back négatif) font alors stopper l’activité du système en jeu.

 

Le bébé naît effectivement avec une vaste gamme de potentiels d’action prêts à être activés

 

Autrement dit des réflexes archaïques, et qui s’adressent progressivement à une figure de plus en plus déterminée.

Dans notre société il s’agit plus particulièrement de la mère, dispensatrice le plus souvent des soins.

Selon la théorie de Bowlby, dès sa naissance, le nourrisson possède la plupart des compétences nécessaires à la mise en place d’un système interactif avec le monde extérieur, qui lui permet de faire appel à l’adulte qui s’occupe de lui, d’obtenir les satisfactions nécessaires à son bien être et de se sentir en sécurité contre tout danger.

Ce système devient plus complexe tout au cours de la première année et est organisé autour d’une ou plusieurs figures significatives avec qui s’établit cette interaction.

Le terme attachement s’applique spécifiquement à ce système qui règle rapprochement et sécurité, en relation à une ou quelques figures significatives (Bowlby, 1969).

D’autre part, le processus dèveloppemental selon la théorie de l’attachement ne réduit pas l’enfant à une interaction étroite avec une figure significative durant la première année.

Le sentiment de sécurité qui est acquis constitue l’élément essentiel qui va permettre à l’enfant à partir d’environ un an, l’exploitation du monde extérieur.

Bowlby insiste beaucoup sur ce qui se déroule entre un an et trois ans, sur cette période où se construit la maîtrise de son corps et de l’environnement.

L’enfant de cet âge est encore extrêmement sensible à la séparation à toute menace de perte des figures significatives, mais il est aussi naturellement porté vers l’exploration, s’il se sent assez en sécurité.

 

Chez un enfant donné, le complexe des systèmes comportementaux qui médiatisent l’attachement se crée parce que dans l’environnement familial ordinaire où la grande majorité des enfants sont élevés, ces systèmes croissent et se développent d’une façon relativement stable.

A des fins d’analyse plus poussée, Bowlby (1978) développe un certain nombre de phases, mais reconnaît qu’il n’y a pas de limites nettes entre elles.

Il en a décrit quatre :

Au cours de cette phase, un enfant se comporte de certaines façons caractéristiques vis-à-vis des gens, mais son aptitude à faire une discrimination d’une personne à l’autre est soit absente, soit extrêmement limitée, par exemple il peut le faire seulement au moyen de stimuli auditifs. Cette phase dure de la naissance jusqu’à huit semaines au moins, et plus habituellement jusque vers douze semaines ; elle peut se poursuivre bien plus longtemps si les conditions ne sont pas favorables.

La façon de se conduire du bébé vis-à-vis d’une personne dans son voisinage a plusieurs aspects :

Chacune de ces sortes de comportement infantile, en influençant le comportement de son compagnon, augmentera probablement la durée du temps où le bébé est à proximité de ce compagnon.

Après environ douze semaines, l’intensité de ces réponses amicale s’accroît. A partir de ce moment, il donne " une réponse sociale complète dans toute sa spontanéité, sa vivacité et avec joie " (Rheingold, 1961) in Bowlby, 1978).

 

Au cours de cette phase l’enfant continue à se comporter vis-à-vis des personnes de la même façon amicale que dans la phase 1, mais il le fait de façon plus nette en direction de sa figure maternelle plutôt que des autres. Il est probable qu’on observera avant quatre semaines des réponses différentielles à des stimuli auditifs et avant dix semaines à des stimuli visuels.

Chez la plupart des bébés élevés dans des familles, en général elles apparaissent tout à fait évidentes vers la treizième semaine.

La phase dure jusqu’à six mois ou plus suivant les circonstances.

 

Ici non seulement un enfant manifeste de plus en plus la discrimination qu’il fait dans la façon dont il traite les individus, mais son répertoire de réponses s’étend jusqu’à inclure le comportement de suivre lorsque sa mère part, de lui faire " fête " quand elle revient, et de l’utiliser comme base à partir de laquelle il peut explorer.

Parallèlement, les réponses amicales et assez peu discriminantes à d’autres personnes vont en déclinant. Certaines autres personnes sont choisies comme figures d’attachement auxiliaires ; D’autres ne le sont pas. Les étrangers sont de plus en plus traités avec précaution, et, tôt ou tard, ils susciteront l’alarme et le retrait.

Au cours de cette phase, certains des systèmes médiatisant le comportement de l’enfant à sa mère s’organisent sur une base rectifiée quant au but. Et alors son attachement à sa figure maternelle est évident, et tous peuvent le constater.

La phase 3 commence habituellement entre six et sept mois, mais peut être retardée jusqu’après le premier anniversaire, surtout chez les bébés qui ont eu peu de contact avec une figure principale. Elle continue probablement pendant toute la seconde année et une partie de la troisième.

 

La proximité, dans cette phase, avec la figure d’attachement commence à être maintenue par le nourrisson et par le jeune enfant au moyen de systèmes rectifiés quant au but d’une organisation simple, utilisant une organisation simple, utilisant une représentation mentale topographique plus ou moins primitive.

Dans cette " carta mentale " la figure maternelle elle-même vient tôt ou tard à être conçue comme un objet indépendant, qui persiste dans le temps et dans l’espace, et se déplace de façon plus ou moins prévisible dans un continuum d’espace et de temps.

Toutefois, même si l’on est parvenu à ce concept, on ne peu peut pas supposer qu’un enfant puisse comprendre d’aucune façon ce qui influence les mouvements de sa mère vers lui ou l’en éloigne, ni quelle mesure il peut prendre pour changer le comportement de la mère.

Pourtant à un moment cela change. En observant le comportement de la mère et ce qui l’influence, un enfant en vient à inférer quelque peu les buts assignés de la mère et les stratégies adoptées pour les atteindre.

A partir de là, l’enfant est en train d’acquérir une compréhension intuitive des sentiments et des motivations de sa mère.

Lorsque l’enfant en est arrivé à ce point, les fondations nécessaires pour que le couple développe une relation plus complexe réciproque, sont édifiées. Bowlby (1978) appelle cette relation une " association " et c’est une nouvelle phase qu’il n’arrive pas à définir précisément dans le temps.

 

Pour Bowlby il est tout à fait arbitraire de dire à la suite de qu’elle phase l’enfant devient attaché. A la phase 1, il n’est certainement pas encore attaché alors que l’on peut dire que c’est également évident qu’il l’est à la phase 3.

Par ces travaux sur des enfants de cet âge, Mary Ainsworth a démontré des liens étroits entre le système attachement et le système exploration, conduisant au concept de la mère comme base de sécurité (Ainsworth, Bell et Stayton, 1974).

Le comportement d’attachement, présent donc dès le départ, va se diversifier, s’élargir à des figures auxiliaires, et persiste toute la vie, se manifestant sous des formes assez variées, parfois même symboliques.

 

Le comportement d’attachement, résultant à la fois d’un besoin inné et d’acquisitions, bien plus importants chez l’homme que chez l’animal a une double fonction :

 

Œ De même que le nouveau né dispose de moyens tout prêts pour attirer l’attention du congénère, celui-ci n’a pas à constituer un répertoire de réponses à ces signaux ou de moyens efficaces de stimulation : ceux-ci sont intuitifs, voire innés. Les liens d’attachement sont donc à concevoir comme le fonctionnement d’un système et non pas d’un individu.

Si l’attachement à un congénère, en général la mère, est crucial, des liens d’attachement sont en général tissés avec plusieurs figures stables de l’environnement de l’enfant : père, fratrie, nourrice, etc.

Mais l’histoire de l’attachement couvre toute la vie ; l’attachement est, en effet, aussi présent à l’âge avancé.

Mirjam Wensauer (1994) a évalué les représentations d’attachement chez des grands-parents âgés. Elle a trouvé des différences surprenantes au niveau des points de vue sur la vie.

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III. CONCEPT D’ATTACHEMENT, CONSTATS ET ELARGISSEMENTS DES RECHERCHES :

 

  1. Rappels.

En fait où en sommes nous avec l’attachement un quart de siècle après le colloque imaginaire de René Zazzo ?

Zazzo en 1974, a été l’instigateur de ce fameux " colloque imaginaire " sur l’attachement, publié chez Delachaux et Nieslé, colloque auquel avait contribué Bowlby.

Ce colloque était une entreprise aussi innovatrice qu’audacieuse.

Il se concluait sur des atermoiements, les réactions virulentes ont eu lieu après le débat.

Zazzo, dans la préface à la seconde édition, en 1979, pense avoir touché à un dogme :  " les critiques crient au sacrilège ".

Par simple constatation, le débat avec la psychanalyse se solde donc par un non-lieu et perd de son urgence, dans la mesure où la théorie de l’attachement s’est solidement ancrée dans la mesure qu’elle se réfère à un ensemble conceptuel et méthodologique qui lui est propre et reconnu.

Elle propose un élargissement du concept à l’éventail des âges de la vie, et son apport au niveau de la psychopathologie développementale et de la question de la transmission intergénérationnelle n’est plus à démontrer.

Le débat provient actuellement plutôt de la psychologie et pointe certains domaines dans lesquels la théorie de l’attachement doit encore affermir ses positions, notamment la question du tempérament, ou encore celle du rôle du père.

Serge Lebovici , propose pour sa par une perspective qui ne se laisse réduire ni à l’enfant réel ni à l’enfant du fantasme. Il suggère que la mère, portant son enfant dans ses bras, porte de fait un enfant multiforme :

L’interaction réelle et l’interaction fantasmatique deviennent complémentaires ; la sexualité infantile inconsciente de la mère autant que ses références culturelles entrent dans le " maillage " transgénérationnel.

Il a su créer en France un intérêt pour les processus transgénérationnels, où l’attachement trouve une certaine complémentarité avec la psychanalyse.

Sous son impulsion, plusieurs auteurs francophones se sont récemment intéressés à comparer les perspectives de la psychanalyse et de l’attachement sur ce point, insistant sur leurs contrastes (Golse, 1995) et leurs complémentarités " Harfon et al., 1997).

 

 

 

B. Attachement et transmission intergénérationnelle.

On peut soutenir que l’un des apports considérables de la théorie de l’attachement a été de proposer un modèle rigoureux de la transmission intergénérationnelle du psychisme de la mère à celui de l’enfant.

Brièvement les faits sont les suivants.

Rappelons tout d’abord que les contributions de Mary Ainsworth et de Mary Main à la théorie sont concrétisées sous la forme des deux dispositifs expérimentaux, qui constituent l’assise de la " situation étrange " (Ainsworth, 1978), qui décrit les types de comportements du jeune enfant en réponse à une séparation de son parent, et, d’autre part, de l’ " entretien d’attachement adulte " (Main, 1985), qui décrit des catégories de représentations d’attachement.

La littérature a mis en évidence un effet massif de correspondance intergénérationnelle entre, d’une part, les types d’attachement du bébé à sa mère dans la situation d’une part dans la situation étrange, et, d’autre part, les catégories de la mère dans l’entretien d’attachement.

Les études sur ce sujet ont été rassemblées dans une méta analyse (Von Ijzendoorn, 1995).

Celle-ci indique, sur 661 dyades mère bébé étudiées, une correspondance de 70% entre les catégories d’attachement maternelle et celles de l’enfant.

Le fait est d’autant plus remarquable que les deux procédures se référent à des méthodes totalement différentes.

Il y a ainsi un impressionnant faisceau de preuves empiriques pour étayer le bien fondé des hypothèses transgénérationnelles élaborées dans la perspective de Bowlby.

Mais le modèle de base de l’attachement est si fortement ancré sur la mère et sur la sensibilité maternelle que la question du rôle du père dans les premiers attachements du bébé, depuis longtemps abordée (Lambs, 1977) doit sans cesse être rappelé (Le Camus, 1997).

 

 

IV. Conclusion

 

Notre époque a su, de manières différentes accorder à l’attachement, du moins chez les bébés et les enfants, une attention plus scientifique que par le passé.

Dans l'étape actuelle de la théorie, l’élargissement des méthodes et des âges étudiés constitue une protection contre les risques de sclérose et de rigidification.

On ne saurait oublier que cette théorie comporte des enjeux pour le grand public, et quels furent les effets dévastateurs de sa " normalisation ", à ses débuts surtout, où elle a parfois été transformée en impératif idéologique.

Elle a en effet contribué au désarroi et à la culpabilité d’une génération de parents (il suffit de rappeler le débat autour de la nocivité de la crèche).

Pour Bowlby, l’attachement devrait servir non pas la dépendance, la fermeture, mais bien l’ouverture, la curiosité.

Parmi les questions centrales pour les recherches futures relatives au développement de l’attachement, il y aura probablement celles de savoir quel types d’expérience d’attachement mènent à quel type de représentations langagières ; ou encore à quel point la représentation que l’on a de soi-même est ouverte, émotionnellement, à une reconstruction significative et réaliste de son modèle interne opérant (Bowlby, 1988).

Comprendre les processus en jeu dans le développement de l’attachement, du berceau au tombeau, a motivé Bowlby (Bowlby, 1991) à trouver une réponse sous forme d’outil pour l’intervention thérapeutique.

Bien qu’elle n’en soit plus à ses débuts, il est nécessaire que la théorie de l’attachement accorde une plus grande attention au rôle du père dans le développement affectif de l’enfant.

Ne plus considérer le père comme une seconde mère mais plutôt tenir compte sans a priori du style d’interactions qu’il favorise avec son enfant semble important si l’on veut déterminer les spécificités de cette " autre dyade ".

Cette question de la contribution du père, elle aussi distincte de l’influence maternelle paraît indispensable dans l’étude du développement psychique de l’enfant.

Enfin et pour finir, malgré l’importance des représentations et des modèles des parents, il faut éviter d’envisager un déterminisme de la transmission intergénérationnelle des modalités d’attachement. Le bébé joue lui aussi un rôle important dans les échanges avec ses proches (Mazet, 1996 ; Lebovici, 1994).

 

 

V. Bibliographie

 

Bowlby J. : Attachement et perte : I. " l’attachement ", II. " Séparation, angoisse et colère ". 1ère ed., PUF, Paris, 1978. III. " la perte, tristesse et dépression ". 1ère ed., PUF., Paris, 1984.

Golse B. : Le développement affectif et intellectuel de l’enfant., 3e éd., Masson, Paris, 1995.

Grand dictionnaire de la psychologie : Attachement, 2e éd. Larousse, Paris, 1992, p.76.

Grossmann K.E., Grosssmann K. : Développement de l’attachement et adaptation psychologique du berceau au tombeau., in ENFANCE, n°3, 1998, p. 44 à 48.

Lebovici S. : la pratique des psychothérapies mères-bébés par Bernard Cramer et Francisco Palacio-Espasa. Note de lecture, Psychiatrie de l’enfant, n° 37 (2), 1994, p.415 à 427.

Le Camus J. : présentation, Enfance, n°3, p. 337 à 350 (numéro spécial le père et le jeune enfant), 1997.

Miiljkovitch R., Halfon O. : La contribution distincte du père et de la mère dans la construction des représentations d’attachement du jeune enfant ., ENFANCE, n°3, 1998,p. 103 à 113.

Mazet Ph. : Psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent., éd. Maloine, Paris, 1996.

Pierrehumbert B. : Le colloque imaginaire : une génération plus tard. in ENFANCE, n°3, 1998, p. 3 à 12.

Reuchlin M. : Psychologie., 9e éd., Paris, 1991, p. 437 à 442.

Robin M., Casati I., Candilis-Huisman D. : La construction des liens familiaux pendant la première enfance, Approches francophones., 1ère éd. PUF, Paris, 1995

Stern D., :. Mère- enfant, les premières relations, Mardaga, Bruxelles, 1981

Wallon H. : Les origines du caractère chez l’enfant, PUF, Paris, 1970.

Zazzo R. : L’attachement. 2e éd. Delachaux et Niestlé, Neuchâtel, Paris, 1979.

 

 

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