La PsychoCité d'Eric...

 

UN ENFANT PEUT EN CACHER UN AUTRE

 

 

 

par Dominique GUICHARD et Françoise LECUREUIL

 

RESUME

Lorsqu'un enfant est présenté au psychologue scolaire comme difficile ou en échec, il est toujours utile d'avoir une vision élargie de la situation au niveau de l'école, mais aussi au niveau de la famille. L'école ne peut être le lieu des thérapies familiales. Par contre, des entretiens familiaux ont toute leur place, à condition qu'ils soient suffisamment cadrés, précis, clairs, limités dans le temps et qu'ils aient pour origine des problèmes scolaires.

Dans cet article, l'exemple développé souligne comment le symptôme échec scolaire joue un rôle de camouflage dans les relations au niveau de la fratrie, s'inscrivant pleinement dans la structure familiale.

Les auteurs resteront plus dans une présentation de situation avec des ébauches théoriques, laissant la porte ouverte à des réflexions plus approfondies .

MOTS-CLES : Ecole Entretiens familiaux Fratrie

SUMMARY

When a child is presented to a school psychologist as a difficult case or as a failure, it is always useful to have a broad perspective of the child's situation, as well as in the family.

School is not the appropriate setting for family therapy. On the other hand, interviews with the family are very appropriate on condition that they be sufficiently structured. precise, clear and limited in time and that they be based on the child's problems in school in this article. The example developed emphasizes how the symptom of failure in school functions as a camouflage for sibling relationships, thus elearly inscribing itself in the family structure.

The authors will limit themselves to a presentation of the situation within a theoretical framework, leaving the door open to more developed remarks.

KEY WORDS: Sehool Interviews with family Sibling

 

Le courant systémique a fait son chemin dans le milieu scolaire. La pratique dans cette optique revêt souvent un aspect " pur et dur ", négligeant les phénomènes inconscients qui pourtant prennent une grande importance dans les travaux récents sur la famille.

Lorsqu'un enfant nous est présenté comme difficile ou en échec scolaire, il est toujours utile d'avoir une vision élargie de la situation, au niveau de l'école bien sûr, mais aussi au niveau de la famille. Jean-G. Lemaire nous dit (2) que " tout système (institution, famille...) tend à maintenir son homéostasie et la distribution des rôles est un moyen de la maintenir, cette distribution des rôles représentant une fonction de défense du système familial ".

Nous allons nous intéresser à cet aspect de la distribution des rôles dans la fratrie et aux effets que cela peut avoir sur les avatars du développement d'un enfant.

L'élève qui nous est signalé à l'école comme le porteur du problème peut, par son dysfonctionnement, permettre à un frère ou une sœur de " couler des jours heureux " en répondant au plus près à l'enfant idéalisé du couple parental. Son " mauvais côté " étant alors exprimé, agi, par celui qu'on a appelé " l'enfant révélateur " (3), " le patient désigné " (4), " le cache souffrance " (1), selon les auteurs.

Il est possible, par une intervention brève sur la famille, de libérer l'enfant symptôme de cette emprise et de favoriser la rééquilibration du système familial autour de modes de communication fonctionnels.

C'est ce que nous allons tenter d'illustrer à travers la présentation et l'analyse des quatre entretiens réalisés avec une famille dans le cadre de l'école et motivés par les difficultés scolaires d'un enfant : Fabien.

Ces entretiens ont été menés par le psychologue, le coauteur de cet article étant l'observateur et le régulateur en dehors des séances.

 

Désignation de l'enfant et élargissement du problème.

 

La rééducatrice demande au psychologue d'examiner Fabien parce qu'elle a décelé, au cours d'un bilan psycho-pédagogique, d'importants problèmes d'analyse et de synthèse chez cet élève qui redouble le Cours préparatoire. Elle soupçonne un retard d'organisation du raisonnement et projette une rééducation logicomathématique.

La mère de Fabien prend contact avec le psychologue et il en ressort que Fabien a fait un CP d'adaptation dans une autre école (déménagement) parce qu'il était " immature, immaturité globaIe, graphisme et langage ". Il a par ailleurs bénéficié d'une rééducation orthophonique qui devrait se poursuivre cette année et d'une psychothérapie qui avait permis que " beaucoup de choses changent, niveau et personnalité ".

La mère ne souhaite pas la multiplication des prises en charge et demande que rien ne soit entrepris dans l'école cette année.

Le psychologue partage ce point de vue. En réponse à l'interprétation linéaire des difficultés de Fabien, il reformule celles-ci en termes de globalité et évoque la possibilité d'un travail avec la famille toute entière. Quatre jours plus tard, la mère prend rendez-vous pour la famille, famille nucléaire (père, mère, Fabien, sœur de Fabien).

L'enfant à problème prend ainsi le rôle de mauvais objet, composante de la personnalité de son frère ou de sa sœur, annihilant dans le même temps une bonne part de ses possibilités d'individuation et de développement.

Les descriptions de cas d'enfants symptômes du dysfonctionnement familial laissent souvent entrevoir que les troubles sont entretenus par la famille pour masquer d'autres symptômes plus inquiétants chez un frère ou une sœur (1). Nous pensons pour notre part que cette situation ne révèle pas nécessairement d'autres symptômes mais un mode de communication et de relation qui s'est installé à un moment donné, à l'occasion de remaniements inévitables de l'organisation familiale et qui se perpétue sous cette forme parce que l'équilibre du système familial est trop fragile ou tout simplement parce que les bénéfices secondaires qu'en retire un des membres de la famille (ou la famille toute entière) l'incite à maintenir l'homéostasie du système autour de ce mode de relation dysfonctionnel.

On peut prendre comme exemple la réorganisation du système familial qui intervient lors de la naissance d'un second enfant.

L'aîné n'accepte pas de bon cœur cette arrivée qui vient troubler la quiétude des relations qu'il entretient avec ses parents. Et il se trouve que dans certaines familles ce " rejet " venant de l'aîné ne puisse se dire, ni même être fantasmé par celui-ci. Pour rester un " bon enfant " qui ne peut avoir de mauvais sentiments (de haine), il va projeter ses " mauvaises tendances "(mauvais objet) sur le nouveau-né. Ce dernier n'aura d'autre alternative que d'accepter de jouer le rôle qui lui est distribué, surtout lorsque des événements de la réalité peuvent laisser penser à la famille que l'enfant qu'ils viennent d'avoir peut être porteur d'une tare.  

 

PREMIER ENTRETIEN

 

Le Psychologue (à Fabien) : Pourquoi tout le monde est là ?

Fabien : ...

Le Psychologue (à Fabien) : Qui va parler pour toi ?

Fabien : ...

Le Psychologue (à Fabien) : A qui je demande ?

Fabien : ..

Le Psychologue (à Fabien) : A Papa ?

Fabien : Non.

(Fabien désigne sa sœur du doigt.)

Fabien : Marianeck.

Le Psychologue : Je n'avais jamais entendu ce prénom-là .

Le père (se tournant vers les enfants) : C'est intéressant.

(à Marianeck) Explique d'où ça vient.

Marianeck : ...

Le père : Où tu es née ?

Marianeck : Dans l'Est, en Alsace.

Le Psychologue : Elle est plus près de qui en s'appelant Marianeck ? ,

Le père : La mère de Michèle est Alsacienne.

Le Psychologue : Qui a choisi le prénom de Marianeck ?

Le père : Bonne question. C'est un choix commun, on parle tous les deux alsacien. Elle est en quelque sorte dépositaire de la culture.

Le Psychologue : Et Fabien ?

Le Père : On pensait ce prénom germanique. Mais on trouve beaucoup de ce prénom-là. Il se sent moins original, du moins par ce biais-là.

Le Psychologue : Comment il se distingue alors ?

La Mère : Comment Fabien se distingue ?

Fabien : ...

Le Psychologue : Fabien fait beaucoup d'efforts pour se distinguer.

Le père : Oui.

Le Psychologue : Qu'est-ce que tu en penses Marianeck ?

Marianeck : ...

Le père (à Fabien) : Je pense que tu peux le dire. Il y a un tas de choses que tu fais, que tu aimes faire.

La Mère : Qu'est-ce que tu fais par exemple le mardi ?

Fabien : A la lutte.

Le père : Tu fais des collections, des super collections. De quoi ?

Fabien : De pierres.

(Fabien se contorsionne, s'agite sur son siège.)

Le père : Où tu les trouves ?

Fabien : Dans le jardin. .

Le père : Où ?

Fabien : Chez pépé et Mémé.

Le Psychologue : C'est les parents de qui ?

Fabien : De...

(Marianeck lui souffle.)

Fabien : De Maman.

Le Psychologue : Et pépé ?

Fabien : Il est mort.

Le père : Il est mort après la guerre.

Le Psychologue : La guerre contre qui ?

Le père : Il est mort quand la guerre était terminée.

La Mère : Des suites de la guerre, en 1954. Il a été longtemps prisonnier. Il est mort de septicémie.

Le père (à la mère) .Ta mère, quand elle en parle, elle parle jamais des Allemands. Nous, on parle plutôt d'histoire plus ancienne.

La Mère (en regardant le père) : C'est vrai.

Le Psychologue : Et l'histoire de Fabien ?

Le père : Lui, c'est l'aspect batailles et soldats.

Le Psychologue : C'est une toute autre histoire.

Le père (en partant) : Je ne suis pas sûr que ce soit le cadre pour parler de ça. Mais isoler Fabien pour le valoriser, c'est une phase intéressante.

 

Si le premier entretien sert principalement à faire connaissance avec la famille et à comprendre comment elle fonctionne, il arrive souvent, comme ici, que le problème soit déjà posé implicitement.

La famille vient au rendez-vous pour les problèmes de Fabien et celui-ci désigne Marianeck comme l'interlocuteur du psychologue.

Nous notons d'autre part que le père contrôle les échanges, distribue la parole et montre ainsi par ses ponctuations sa résistance à impliquer la famille dans les problèmes de Fabien. Le relatif effacement de la mère qui était jusqu'alors surimpliquée, participe à cette résistance qui maintient l'homéostasie du système où Fabien doit garder son " rôle de " cache-souffrance ". Elle sera à peine déguisée en fin d'entretien.

L'évocation de la guerre contre les Allemands lorsqu'on parle du grand-père souligne l'impossibilité de mettre des mots sur la rivalité, l'agressivité, la haine. Nous sommes sensibles au décalage entre le niveau d'intellectualisation du père, particulièrement lorsqu'il évoque le choix du prénom de Marianeck, et son incapacité à répondre à l'incitation métaphorique du psychologue sur " l'histoire " de Fabien.

 

DEUXIEME ENTRETIEN

 

Le Psychologue (à tous) : Parlez-moi de l'arrivée de Fabien dans la famille.

Le père : Ça a été difficile, surtout pour Marianeck, juste un an après, Marianeck ne marchait pas. On a une photo où elle le regarde. Nous étions en travaux. Mais c'est encore moi qui parle.

Je laisse la parole à mon épouse. Marianeck n'était pas préparée, elle n'avait pas encore le langage.

La Mère (rit) : On a des photos.

Le père (rit) : La grossesse a été difficile, mais l'accouchement a été marrant. rigolo. Quand on a dû se rendre à la clinique, Marianeck protestait. C'était le matin, il lui fallait son chocolat chaud. Puis le chocolat était trop chaud, il a fallu attendre qu'il refroidisse. Elle protestait, il a fallu la séparer de son chocolat. On est allé à la clinique, Marianeck est restée dans la voiture. C'est un événement dont on parle souvent. On le remime souvent.

Le Psychologue (à la mère) : Une grossesse difficile. Difficile en quoi ?

La Mère : Fatiguée surtout. Sinon il est né un peu avant la date prévue. Il a été hospitalisé à la naissance, on l'a mis sous une lampe spéciale, dans une couveuse. Puis on nous a annoncé qu'on devait le transfuser. Mais ça ne s'est pas fait.

Le Psychologue (à la mère) : Vous avez été inquiète ?

La Mère : Oui.

Le père : Oui. un peu.

La Mère : C'était spectaculaire, le centre de transfusion.

Le Psychologue : Vous en parlez ?

Le père : On a une photo de l'hôpital,

Le Psychologue (aux parents) : Vous avez eu peur de quoi ?

Le père : De quoi auriez-vous eu peur ? Le médecin avait dit qu'il avait un taux important de bilirubine, qu'il fallait pas attendre.

Le Psychologue : Vous avez eu peur de quoi ?

La Mère : D'un risque de handicap mental. On nous en avait parlé.

Le Psychologue : Qui ?

Le père : Le pédiatre.

La Mère : Une fois sortis de l'hôpital, il n'y a pas eu de problème, on nous a dit qu'il ne resterait aucune séquelle.

Le Psychologue : Vous êtes allés voir un psychologue.

La Mère : Il a été suivi un an en psychothérapie. Il avait un niveau normal. Il a beaucoup changé.

Le père : Oui, il a beaucoup changé,

La Mère : Le psychologue a bien mis le doigt sur les choses. Il a davantage sa place dans la famille. Il s'excluait lui-même de la famille. Il avait tendance à se retirer, à s'isoler. Il était plus triste avant, maintenant il est plus gai.

(Marianeck fait des grimaces.)

Le Psychologue (à Marianeck) : Tu fais quelquefois la gaga ?

Le père : Oui, le bébé.

Le Psychologue : Et toi, Fabien, tu fais le bébé ?

Fabien : Avec Marianeck, oui,

Le Psychologue : Tu aimes faire le bébé ?

Fabien : Non.

Marianeck : Je joue des fois à la grande, des fois au bébé.

Le Psychologue (à Fabien) : Qu'est-ce qui est le mieux ?

(Fabien parait gêné.)

Le Psychologue (à Fabien) : Elle fait bien le bébé ?

(Marianeck se grandit.)

Fabien : Elle se fait grande. elle me dépasse,

Le Psychologue (à Fabien) : Elle aime bien que tu sois son petit bébé ? (à Marianeck) Tu aurais aimé t'en occuper ?

Marianeck : Non.

Le Psychologue : Tu aurais aimé le mettre dans la poubelle. Tu sais, il y a beaucoup d'enfants qui me disent cela dans ce bureau.

Le père : C'est très chouette, ils jouent beaucoup ensemble, mais c'est excessif. Nous avons cherché pour eux des activités différentes. Marianeck fait du piano. Fabien va à la lutte. Il le fait très bien.

Fabien : J'y arrive pas.

La Mère : Si, il y arrive.

Le Psychologue (à Marianeck) : Tu vas l'encourager ?

Marianeck : Je vais le regarder. Le maître de lutte, il dit " hop " et ils se mettent tous par terre. J'aime bien quand ils font des prises, quand ils les jettent par terre.

Fabien : Elle comprend jamais ce que je lui dis.

Le Psychologue : Voulez-vous venir encore une fois ?

Le père : C'est à eux de répondre.

(Les enfants font signe que oui.)

 

Comme il n'a pu être parlé de l'histoire de Fabien, le psychologue situe tout de suite le second entretien sur ce sujet.

On fait d'emblée deux observations. L'une sur la place respective de Marianeck et de Fabien dans la famille. L'autre sur le rôle que joue le père dans le maintien de l'homéostasie du système.

Mais le plus important se situe sur un plan clinique. C'est que la peur qu'ont éprouvée les parents à la naissance de Fabien puisse être dite pour pouvoir reconstruire les relations autour de la réalité, alors que jusqu'à maintenant elles s'articulaient autour de dénégations d'un éventuel handicap, du genre " Fabien peut faire ceci, cela ". Ils peuvent parler du " raté " de la naissance de Fabien. L'anecdote du chocolat chaud, étonnamment investie, suggère que seule Marianeck n'était pas prête à accepter le petit frère. Cette métaphore du chocolat chaud exprime la difficulté du groupe familial tout entier à accueillir un nouvel arrivant à ce moment-là de son histoire. Cela permet aussi à la mère de dire que Fabien n'avait pas sa place dans la famille, qu'il s'excluait lui-même et avait tendance à se retirer à s'isoler.

Fabien joue la position de " raté indésirable ", rôle qui lui a été inconsciemment imposé et qui a pu se jouer sur ce registre du fait des circonstances dramatiques de sa naissance.

Cet entretien aura permis de mettre des mots sur ces phénomènes partiellement inconscients.

 

TROISIEME ENTRETIEN

 

Le Psychologue (aux enfants) : Pourquoi avez-vous voulu revenir ? Qu'est-ce qui vous avait intéressés ?

Fabien : Quand j'étais petit.

Le Psychologue : Avant que tu sois né ? Pendant? Après ?

Marianeck : Après.

La Mère : On a revu les photos quand tu étais petit.

Le père : On en a reparlé, notamment la poubelle (rires).

Le Psychologue (à Fabien) : Tu es né avant que ce soit le moment.

La Mère : Oh, trois semaines avant. (à Fabien) Tu as été dans une couveuse. (au psychologue) Oui, il avait froid, il était en hypothermie.(à Fabien) On avait beau t'habiller,

Le Psychologue (à la mère) : Comment l'imaginiez-vous avant qu'il naisse ?

Le père : En cosmonaute, ça s'impose.

Le Psychologue : ?

Le père : Du fait du cordon.

Le Psychologue (à Fabien) : Alors tes parents ont eu peur que tu ne sois pas normal. Tu as failli être un gogo, un zozo, je ne sais pas comment on dit à la maison.

La Mère : Marianeck dit handicapé. Le médecin avait dit que cela pouvait entraîner un handicap mental.

Le père : On en parle pas en terme péjoratif.

Le Psychologue (à Marianeck) : Qu'est-ce qu'il ne sait pas faire Fabien ?

Le père (en regardant Fabien) : Qu'est-ce qui se passe le matin? Qu'est-ce qui se passe souvent ? Dis-le.

(Fabien désigne Marianeck du doigt pour qu'elle réponde à sa place.)

Marianeck : Il sait pas dormir comme moi parce qu'il fait pipi au lit et on est en retard à l'école. Et puis il ne sait pas garder les choses qu'on lui donne en collection.

Le Psychologue : Qui est-ce qui vérifie qu'il a fait pipi ?

Marianeck : On le sent, beurck, et moi je suis à côté.

Le Psychologue : Qui regarde ?

Marianeck : C'est maman.

Le Psychologue : Que dit maman à Fabien ?

Marianeck : Elle le rouspète.

Le Psychologue (à Fabien) : Que dit ta sœur ?

Marianeck : Ça pue. Ce matin ça puait beaucoup, je voulais me laver dans la salle de bain, alors elle l'a mis dehors.

La Mère : Le linge.

Le père : Ça n'arrive pas toujours (à Fabien). Est-ce que ça arrive pendant les vacances ?

Fabien : Non.

Le père : Les jours de vacances, quand il y a orthophonie, il fait pipi au lit. C'est quand il y a des contraintes. (Fabien suce son pouce.)

La Mère : Il n'est pas content qu'on ait dit ça.

Le Psychologue : Tu as bien raison de faire pipi au lit. Tu es un enfant intelligent et sensible qui aime beaucoup sa maman. Tu trouves que ta mère s'ennuie un peu à la maison parce qu'elle n'a pas encore retrouvé du travail. Qu'est-ce qu'elle ferait de son temps autrement ? Tu occupes bien ta maman avec l'orthophonie, le pipi au lit. C'est bien.

Marianeck : C'est pas de sa faute s'il fait pipi. Il boit trop.

Fabien : C'est pas tes affaires,

(Marianeck lève le doigt.)

Fabien : Elle se croit à l'école !

Le Psychologue (à Fabien) : Nous nous reverrons dans quinze jours. Jusque-là, ne change rien à tes habitudes. Je te demande par contre de faire pipi au lit la nuit d'avant notre prochain rendez-vous.

 

Cette fois-ci, ce sont les enfants qui situent tout de suite l'entretien sur l'arrivée de Fabien. Et on voit bien que Marianeck est le porte-parole de la famille (Marianeck dit " handicapé "). Un nouvel équilibre s'opère où la parole est possible, mieux répartie. Le père a moins besoin de la distribuer. Contrairement aux précédents entretiens, il n'est plus question de s'efforcer de trouver ce que Fabien peut faire, sait faire (de la lutte, des collections). Nous ne sommes plus dans le même registre. On ne lui demande plus de faire, mais on lui demande de ne pas faire.

L'énurésie vient remplacer le problème scolaire qui était à l'origine de notre intervention.

On observe en effet la disparition de l'attitude d'échec de Fabien. La maîtresse, qui jugeait les résultats catastrophiques, dit maintenant que Fabien veut réussir et réussit. Il n'y a plus de signalement à l'école. Fabien " rentre dans le rang ". (Il passera au CE1 sans difficulté et ne fera même pas partie des élèves proposés pour un soutien scolaire).

L'évocation du problème de pipi au lit participe au même système d'interaction que l'évocation des autres difficultés : les problèmes de Fabien sont l'affaire de Marianeck. Cette substitution, au niveau de la parole, évite aux parents d'avoir à exprimer la composante agressive de leur relation aux enfants. Composante qu'ils refoulent. Ce troisième entretien permet à Fabien, pour la première fois, de prendre une position autonome par rapport à sa sœur ("c'est pas tes affaires ", " elle se croit à l'école "). Ce qui la libérera par là même du rôle qu'elle tient. La connotation positive et la " prescription du symptôme " renforcent ce mouvement en fragilisant l'homéostasie du système. Ces changements minimes permettent la réorganisation des relations a un niveau plus profond.

 

QUATRIEME ENTRETIEN

 

(Tout le monde arrive très joyeux.)

Le Psychologue (à Fabien) : Alors ?

Fabien : J'ai pas fait pipi (sourire béat).

Le Psychologue : Je ne suis pas content.

Le père : On en a parlé, on en a blagué. Il est arrivé au début de la semaine qu'il ne fasse pas.

La Mère : Il a fait peu de fois. Il a fait un mercredi.

Le Père : On a marqué ça sur un carnet. Petit carnet jaune, bien sûr .

Le Psychologue : Voyons ce carnet.

Fabien : Maman l'a oublié.

Le Psychologue : Qui a écrit sur le carnet ?

Fabien : Maman et Marianeck ont écrit.

Le Psychologue : Tu n'as pas écrit ?

Fabien : C'est le carnet de Maman.

Le père : D'habitude il est détendu. L'anxiété liée aux jours scolaires, l'anxiété liée à l'école est toujours là, mais, le pipi n'est plus là.

Le Psychologue : Tu n'as pas fait la nuit dernière.

Le père : Marianeck l'ai aidé pour qu'il fasse pipi. Elle lui a fait du thé.

Le Psychologue (à Fabien) : Il arrive que Marianeck veuille te faire faire des choses que tu ne veux pas faire ?

(Les parents hochent la tête.)

Fabien : ...

(Marianeck fait mine de tirer sur la cordelette qui commande l'interrupteur de la lampe du bureau en faisant signe à Fabien de le faire.)

(Le psychologue demande à Marianeck et à Fabien d'échanger leurs places.)

Le Psychologue (à Fabien) : Est-ce que tu es mieux à cette place ?

Fabien : Je suis mieux comme ça, je suis retenu sur le mur.

(Marianeck fait signe à Fabien d'allumer la lampe.)

Fabien (au psychologue) : Elle dit vas-y.

Le Psychologue : Elle te pousse à faire des choses ?

Fabien : Non, c'est moi.

Le Psychologue : Elle te fait faire des bêtises ?

La Mère (à Marianeck) : C'est pas des façons, c'est très sot !

Fabien : Si elle a envie de faire.

Marianeck : Après, quand je fais pipi au lit, on me dit que je suis un bébé.

Fabien : Je connais un grand, il a fait pipi même grand.

Le père : C'est son idole, sa référence. C'est le fils de mon frère.

(Marianeck se contorsionne, suce son pouce.)

Marianeck : Moi aussi je suis copine avec lui, il va toujours avec les grandes.

Fabien : Je n'ai pas compris ce qu'elle a dit parce qu'elle parle trop vite. Elle a qu'à prendre un micro.

Marianeck : Il va toujours avec les grandes. J'ai pas le droit d'y aller.

(Marianeck allume la lampe, Fabien lève le doigt.)

Marianeck : Il se croit a l'école.

Fabien : Marianeck a allumé la lampe parce que c'est moi qui lui ai dit de le faire.

Le Psychologue : Je crois qu'on n'a plus besoin de se revoir. Maintenant, si Marianeck veut faire des bêtises, elle n'aura qu'à les faire elle-même. Si elle veut faire pipi au lit, elle n'aura qu'à le faire elle-même.

Marianeck : Ah . J'ai pas envie.

 

Ce quatrième entretien confirme la surimplication de Marianeck dans les problèmes de Fabien (c'est elle qui fait du thé pour qu'il fasse pipi.). Fabien joue dans la réalité, ce que Marianeck s'interdit. Ce qui lui permet d'être ainsi conforme à l'enfant idéalisé des parents, c'est-à-dire une enfant sans défaut, brillante à l'école (ce qu'elle restera).

Les enfants vont jouer, dans l'ici et maintenant de l'entretien, le changement possible de leurs rôles respectifs (matérialisé par le changement de place). Marianeck s'autorise à faire des bêtises, à régresser (elle suce son pouce), se libère de son rôle d'enfant idéal et libère Fabien de son emprise. Le père n'intervient plus et laisse faire. Le changement est confirmé par l'intervention de la mère qui signale, devant le comportement de Marianeck, " c'est pas des façons, c'est très sot ".

Marianeck est reconnue comme capable de faire des bêtises, (il n'y a pas que Fabien) et elle est réprimandée pour cela. Le psychologue ponctuera le changement et conclura ainsi les entretiens.

 

Conclusion

 

Nous avons limité le travail qui aurait pu être plus approfondi, en particulier au niveau du couple parental. Mais le lieu l'interdisait, ce qui fut signifié sans ambiguïté par le père dès le premier entretien et que nous avons respecté, en laissant tout se jouer au niveau des enfants.

Le problème scolaire était bien le problème initial. Le fait de renvoyer ce problème à la famille toute entière, par le choix délibéré du mode d'intervention (entretiens familiaux dans la double optique clinique et systémique), a permis l'émergence d'une demande qui dépassait le cadre de l'école. Par ces entretiens on a pu toutefois désamorcer le phénomène de la surdétermination qui dévitalise l'individu et favoriser la répartition sur toutes les personnes.

Nous ne pouvons terminer sans citer Jean-G. Lemaire (2) à propos des imperfections de notre approche :

" Dans de nombreuses circonstances, le praticien voit son choix singulièrement limité. Plutôt que de rêver à ce qui pourrait être son choix théorique idéal, il est réduit à résoudre des problèmes pratiques : comment faire, aujourd'hui, avec telle famille ? Comment faciliter chez tel patient un relatif dégagement de l'engluement dans sa famille ? Jusqu'à quel point y aura-t-il coopération, etc. ? Cependant ces considérations pratiques souvent limitatives ne doivent pas empêcher une réflexion plus profonde,

Elles ne doivent pas décourager le chercheur clinicien dans son effort de modélisation, même s'il sait que sa proposition théorique n'est applicable que dans une minorité de situations. "

 

 Bibliographie

1 COUNIO (S) Thérapie familiale et fratrie. In: Le groupe familial,1986, 111,

2 LEMAIRE (J-G) Famille, amour, folie. Centurion 1989

3 LEMAIRE (J-G) Introduction aux thérapies familiales. In: Dialogue, 1979, 66,

4 SELVINI-PALAZZOLI (M) Paradoxe et contre-paradoxe. ESF, 1978

Psychologie et Education n° 3, 4e trimestre 1990

 

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